• Conte de Cinéma : critique du film et interview de Hong Sang Soo

    Conte de cinéma est le sixième film du réalisateur coréen Hong Sang Soo. Découvrez la critique du film, suivie de l'interview du réalisateur coréen réalisée en 2005 lors de passage à Paris.

    Fidèle à ses obsessions, Hong Sang Soo met en scène dans Conte de Cinéma une femme et deux hommes dans un étrange triangle amoureux où fiction et réalité se confondent, défiant toute chronologie. Sans atteindre la grâce de ses deux précédents films, le cinéaste réalise une nouvelle œuvre introspective et sensible qui résonne parfois comme un cri de détresse.

    Conte de Cinéma : critique et interview de Hong Sang Soo

    A Séoul, un étudiant suicidaire s'éprend d'une jeune fille et décide de passer sa dernière nuit avec elle. Lorsqu'il lui expose ses intentions, il s'aperçoit que contre toute attente, elle accepte de le suivre dans son geste. Les deux jeunes gens vont se mettre en quête d'un moyen pour mener à bien ce double suicide… En parallèle, l'histoire d'un homme, Tongsu, qui au sortir d'une projection de cinéma aborde l'actrice principale du film qu'il reconnaît par hasard.

    Comme c'est le cas dans Turning Gate et La Femme est l'avenir de l'homme, Conte de cinéma s'articule autour de deux parties distinctes amenées à se chevaucher plus tôt qu'on ne le croit. La première partie, c'est le film dans le film. Le jeune héros de l'œuvre projetée dans le cadre de la rétrospective d'un cinéaste mourant n'a que dix-neuf ans et décide de mettre fin à ses jours. Tongsu, le spectateur du film, a dépassé la trentaine mais il sort bouleversé de la séance, et ce d'autant plus qu'il a toujours conçu une grande admiration teintée de jalousie pour le réalisateur.

    Conte de Cinéma : critique et interview de Hong Sang Soo

    La jonction la plus évidente entre le monde de la fiction (le jeune homme suicidaire) et celui du réel (l'homme adulte en perte de repères) se fait bien sûr par l'intermédiaire de la femme (Uhm Ji Won), à la fois présente en tant qu'actrice dans le film et en tant que personne dans le réel. Le personnage qu'elle joue dans le film porte d'ailleurs son véritable nom. Elle est ainsi amenée à apaiser la souffrance du jeune homme de la fiction puis à recevoir "en vrai" les épanchements de Tongsu qui la presse désespérément de l'écouter et de répondre à ses avances.

    Hong Sang Soo se livre donc à un jeu de miroirs dont il semble familier mais qui continue d'émerveiller le spectateur tant les scènes se font écho naturellement, dans une sorte de paisible harmonie où la douleur menace d'éclater à tout instant.

    Dans le rôle de Tongsu, on retrouve avec plaisir l'excellent Kim Sang Kyung, acteur principal de Turning Gate dans lequel il promenait déjà sa dégaine nonchalante et son air perdu. Dans Conte de cinéma, il n'hésite pas une fois de plus à rentrer dans la peau d'un personnage dépassé par les événements, que la vie a rendu peu amène et fréquentable. Tongsu est incapable de satisfaire les autres et ignore constamment où ses pas vont le mener. Lunatique, immature et indécis, il semble condamné à faire le vide autour de lui.

    Conte de Cinéma : critique et interview de Hong Sang Soo

    Le jeune homme de la fiction, incarné par Lee Ki Woo, apparaît donc à la fois comme une version sublimée de Tongsu et comme ce que celui-ci est contraint de revivre éternellement puisque le film peut être joué à l'infini. Au contraire, la jeune fille comme l'actrice qui l'incarne finissent tôt ou tard par aller résolument de l'avant afin de vivre leur vie. Uhm Ji Won accomplit la performance remarquable de se rendre crédible dans deux rôles espacés par plus de dix ans d'âge.

    L'exceptionnelle direction d'acteurs qui caractérise toute l'œuvre de Hong Sang Soo fait aussi la force de ce Conte de cinéma. Cependant, en privilégiant les scènes plus courtes parcourues de zooms de temps à autres au lieu des longs plans-séquences statiques qu'il semblait affectionner auparavant, le réalisateur rend certes son film plus immédiatement accessible dans la forme, mais perd un peu en profondeur et en émotion.

    Sans ajouter de pierre essentielle à l'édifice d'une filmographie passionnante, Conte de cinéma reste un beau film de Hong Sang Soo, parfois drôle et souvent touchant, à découvrir quoi qu'il en soit.

    Caroline Leroy

    Article publié sur DVDRama.com le 19 octobre 2005

    Interview du réalisateur Hong Sang Soo

    A l'occasion de la sortie française de Conte de Cinéma le 2 novembre 2005, le réalisateur coréen nous a accordé une interview dans laquelle il répond à nos questions avec ce mélange de réserve et de franchise qui le caractérise. En plus d'expliciter les thèmes forts de son film, il revient sur la situation des cinéastes d'art et d'essai en Corée du Sud au milieu des années 2000.

    Conte de Cinéma : critique et interview de Hong Sang Soo

    Caroline Leroy : Avez-vous envisagé Conte de cinéma comme la troisième partie d'une trilogie entamée avec Turning Gate et La femme est l'avenir de l'homme, ou bien avez-vous conçu ce film complètement séparément ?
    Hong Sang Soo
    : Conte de cinéma est un film indépendant des deux autres.

    On remarque pourtant quelques thèmes en commun ainsi qu'une structure similaire en miroir.
    C'est possible car en tant qu'homme, j'évolue certes mais de façon assez lente (rires) et certaines choses se répètent depuis mon premier film.

    Peut-on voir la fiction – le film dans le film qui tient lieu de première partie – comme une métaphore de la situation d'enfermement dans laquelle se débat le personnage principal incarné par Kim Sang Kyung ? Car tout dans sa vie semble destiné à se répéter sans qu'il parvienne à évoluer.
    Dans la deuxième partie de Conte de cinéma, le personnage, Tongsu, prétend que le film qu'il a vu raconte son histoire à lui. Mais au bout du compte, on ne sait pas si c'est vrai ou pas. Si c'est vrai, c'est que le personnage a grandi jusqu'à un certain point et qu'il est resté figé ainsi. Il a cessé de dialoguer intérieurement avec lui-même à cause des aléas de la vie, tout simplement. Il a adopté un masque qui n'est rien de plus qu'une stratégie de survie. Il peut s'agir de poses ou bien de ce que j'appellerais des "astuces de la vie". Dans la première partie de Conte de cinéma, le garçon a dix-neuf ans. Dans la deuxième, le personnage approche les trente-cinq ans et vit une journée assez éprouvante et dramatique : il passe une nuit avec une actrice, il rencontre le metteur en scène mourant pour lequel il a tout de même une certaine affection et il ressort au petit matin de l'hôpital en état de choc. Or ce choc brise ce qui était resté gelé en lui. Il se réconcilie donc avec lui-même en tant que jeune homme, quand il n'avait pas encore cessé de grandir. Ce bouleversement intérieur apparaît avec le monologue en voix-off que l'on entend à la fin du film. Ce monologue, très présent dans la première partie, ne ressurgit qu'à la fin, sous l'influence du film que Tongsu vient de voir. Cela rejoint un peu ce que vous disiez.

    Conte de Cinéma : critique et interview de Hong Sang Soo

    Le thème de l'homme qui ne sait que faire de sa vie et qui erre sans but est assez récurrent dans votre filmographie. On a l'impression qu'au contraire vous montrez les femmes comme seules capables d'aller de l'avant. Est-ce le résultat d'une observation ou bien vous identifiez-vous à ce personnage qui voit les autres continuer à avancer tandis que lui piétine éternellement ?
    Je pense que les deux sont vrais. Je projette une partie de moi-même dans le personnage et il y a ce que j'observe chez les autres. Il y a cette idée d'un report perpétuel qui me rend fou, parfois. L'idée que l'on ne peut pas atteindre son but avec certitude sans user d'artifices. Donc on pense, on réfléchit, on trouve une idée et on s'aperçoit qu'en fait cette idée vient de quelqu'un d'autre. On la rejette par conséquent en bloc et on en saisit une autre. Je pense que c'est cette hésitation qui est reflétée dans les personnages que j'écris.

    Pourriez-vous nous en dire plus sur vos méthodes de travail avec les acteurs ? Ils sont toujours extraordinairement naturels. On a toujours l'impression que vous êtes parvenu à les prendre sur le vif, qu'ils ne sont pas en train de "jouer".
    Je ne dicte jamais à l'acteur de quelle façon je souhaite qu'il interprète son personnage. Je crée plutôt une ambiance, à travers des petits propos, des petites plaisanteries… Certaines choses se disent autour d'un verre, on se contamine mutuellement en quelque sorte. Rien n'est net ou précis mais ces petits riens ont beaucoup d'importance car ils contribuent à créer une atmosphère qui perdure tout au long du tournage. Cette préparation est suffisante pour que la communication s'installe entre les acteurs et moi. Si bien qu'au moment du tournage, lorsque je balance à l'acteur les dialogues, tout est déjà prêt. Un peu comme si on détruisait la digue et que l'eau coulait à flots.

    Conte de Cinéma : critique et interview de Hong Sang Soo

    Est-il facile de monter des films indépendants et aussi introspectifs en Corée où les très grosses productions sont nombreuses et où le star-system est très puissant ?
    En Corée, les gens s'intéressent de moins en moins aux films non-commerciaux. Les bénéfices engrangés par ce genre de films ne cessent de chuter et de ce fait, l'environnement matériel de la production se dégrade. Je suis contraint de réduire de plus en plus les coûts de production. Si je n'y parviens plus, je serai obligé de tourner en numérique.

    La situation est difficile à ce point ?
    Oui, en termes de nombre d'entrées et de taille du marché, nous avons presque atteint le maximum pour les grosses productions. Mais dans le même temps, l'intérêt pour les films indépendants a beaucoup diminué par rapport à ce que l'on pouvait observer il y a dix ans. Je ne suis pas le seul à le penser.

    Conte de Cinéma : critique et interview de Hong Sang Soo

    Il existe pourtant un système de subventions pour le cinéma en Corée, assez proche du système français. Ces subventions sont-elles d'une quelconque aide dans la situation actuelle ?
    Effectivement, il y a un peu d'aide de la part d'une organisation qui s'appelle Korean Film Commission. Cette aide est axée sur deux pôles : l'aide aux films d'art et d'essai et l'aide en cas de co-production avec une société étrangère. Ensuite, il y a des petites choses, par exemple une aide à l'écriture du scénario. Mais au final c'est dérisoire si l'on considère le nombre de cinéastes qui font ce genre de films. Nous sommes très peu à pouvoir bénéficier de ce genre d'aides.

    Est-ce que le fait d'avoir une reconnaissance à l'étranger par le biais de festivals vous aide à monter des projets ?
    Oui, en effet.

    Quels sont vos prochains projets ? Avez-vous un film en cours ?
    Je vais commencer à écrire quelque chose au mois de novembre et si ça marche, je vais peut-être tourner au mois d'avril.

    Propos recueillis par Caroline Leroy le 18 octobre 2005
    Article publié sur DVDRama.com le 21 octobre 2005


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