• Critique : Otakus in Love, avec Ryuhei Matsuda

    Koi no Mon est une romance délirante entre deux otakus joués par Ryuhei Matsuda et Wakana Sakai. L'occasion de revenir dans la seconde partie sur la représentation des otakus à travers le cinéma et l'animation japonaise.

    Otakus in Love fait partie de ces films japonais profondément ancrés dans une sous-culture moderne souvent décriée mais qui, sous des dehors joyeux de trips délirants à l'extrême limite du non-sensique – et auxquels il semble que seule une consommation avide de mangas et d'animes dans ce qu'ils peuvent avoir de plus divers peut préparer le spectateur ébahi – , font pourtant figure de précieux témoignages d'une certaine réalité de la vie des jeunes Japonais d'aujourd'hui.

    Qu'ils soient bons ou mauvais, ces films passent rarement les frontières du Pays du Soleil Levant et atteignent encore plus rarement les nôtres, à l'exception notable de Kamikaze Girls, fable sucrée aux accents hystériques parvenue sur nos écrans en juin dernier. Le seul moyen pour ces œuvres atypiques de rencontrer le public occidental reste une sélection miraculeuse au programme de quelques festivals audacieux dans lesquels un accueil généralement plus que chaleureux leur est réservé pour peu qu'ils fassent mouche.

     

    Critique : Otakus in Love, avec Ryuhei Matsuda

     

    C'est le cas de Otakus in Love, projeté au Festival Fantasia de Montréal en 2005 et récompensé par un prix du public, les chanceux qui eurent alors l'occasion de le découvrir dans une salle pleine à craquer cette année-là étant immédiatement tombés sous le charme de cette expérience euphorisante et plus intelligente qu'elle n'en a l'air.

    Les deux héros d'Otakus in Love sont des marginaux, des "otakus" comme l'indique le titre international (le titre japonais est Koi no Mon), quoiqu'il apparaisse assez vite que seule Koino (Wakana Sakai) rentre dans le cadre de la définition de ce terme parfois galvaudé. Fan d'animes et de jeux vidéo, collectionneuse d'affiches, de cartes et de mangas, adepte de cosplay au point de sélectionner ses futurs petits amis en fonction leur aptitude à rentrer dans le costume de Yunsung du jeu Soul Calibur, la jeune femme cumule a priori tous les attributs de l'otaku type, mis à part peut-être le physique avantageux dont elle est dotée. Ce dernier point, elle le partage d'ailleurs avec Mon (Ryuhei Matsuda), un marginal bien glamour et sexy pour endosser le costume du loser complet que l'on nous présente. Mais peu importe, tous deux sont réunis par leur volonté de percer dans l'art et plus précisément le manga.

     

    Critique : Otakus in Love, avec Ryuhei Matsuda

     

    Tandis que Koino exerce son talent dans les doujnshi (mangas amateurs) qu'elle vend ensuite tant bien que mal aux conventions animes et manga, Mon a son idée bien à lui de ce qu'est l'art. Ses "mangas", comme il les appelle, ont de quoi dérouter les connaisseurs les plus fins : il a en effet inventé le "manga en pierres". Une manière de raconter comme une autre, sur un support de petites pierres peintes disposées avec soin dans une boîte rectangulaire. Et c'est justement en tombant par hasard sur une pierre séduisante en pleine rue que Mon rencontre Koino, celle-ci lui écrasant malencontreusement le doigt avec son talon aiguille. Coup de foudre !

    Avec sa photographie flashy mais harmonieuse et soignée, sa bande-son tantôt trépidante, tantôt lyrique au diapason d'un rythme qui alterne entre accélérations et envolées contemplatives, ses scènes imprévisibles régulièrement ponctuées de gags parfois gros comme des maisons, Otakus in Love trouve le ton juste, avec ce qu'il faut de folie, pour parler des jeunes Japonais, désormais écartelés entre la recherche de leur propre voie hors de la pression communautaire et l'acceptation des autres dans leur vie. On trouvait d'ailleurs un fond assez similaire dans Kamikaze Girls.

     

    Critique : Otakus in Love, avec Ryuhei Matsuda

     

    Le monde du travail, avec sa discipline militaire et sa négation de tout ego, est d'ailleurs gentiment caricaturée dans une scène où Mon tente d'intégrer les rangs de Tsugino Happy Inc., une société où les employés doivent répéter tous les matins après leur patron, lui-même dépeint comme un sadique hystérique, à quel point ils sont heureux de travailler ici. La différence entre nos deux héros réside peut-être dans le fait que Koino parvient à se fondre dans la masse, quitte à mener une vie de schizophrène (office lady le jour et "cosplayeuse" la nuit), tandis que Mon se refuse à tout compromis et entend imposer de force toute la bizarrerie de son art au risque d'essuyer le mépris de tous.

    Le réalisateur Suzuki Matsuo porte un regard tendre sur ces jeunes qui vivent leur passion jusqu'au bout, nous octroyant la primeur de régulières visites guidées particulièrement hautes en couleurs des lieux de rencontre de ces otakus que le cinéma japonais a finalement rechigné jusqu'ici à montrer tels qu'ils sont, en dépit de leur poids économique grandissant. Koino entraîne donc Mon dans de mystérieux lieux de cultes où l'on chante en cœur les génériques d'animes, ou bien dans les inévitables conventions investies par les fans en transe à la recherche du goodie ultime.

     

    Critique : Otakus in Love, avec Ryuhei Matsuda

     

    Parmi les figures les plus pittoresques d'Otakus in Love, il y a les parents de Koino, tous deux pratiquants de cosplay et hilarants dans leurs costumes. On reste décidément otaku toute sa vie. Au-delà de la dimension comique qui imprègne tout le long-métrage et pour rester dans le vif du sujet, il est à noter que rares sont les films à exprimer de manière aussi vibrante et avec autant d'humour la satisfaction que procure un dessin ou une planche achevés et réussis, comme c'est le cas dans cette séquence mémorable et endiablée où les trois artistes, Koino, Mon et Marimoda, concourent pour le prix du meilleur manga. Un grand moment.

    Le réalisateur ne manque pas de réserver un rôle de choix dans son film, celui de Marimoda, le trouble-fête qui met en péril la relation mouvementée qui unit nos deux tourtereaux. Patron du manga bar où traîne continuellement un pauvre hère incarné par Shinya Tsukamoto (!), bar dans lequel Mon finit par se faire embaucher – et accessoirement essaie de refourguer son "manga", sans succès – , il séduit sans vergogne une Koino déboussolée par les changements brutaux qui agitent son existence en jouant sur sa gloire passée de mangaka.

     

    Critique : Otakus in Love, avec Ryuhei Matsuda

     

    Car les excès assumés de Otakus in Love ne nuisent en rien à la délicatesse de la romance qui naît entre Koino et Mon au fur et à mesure que s'affirme leur aspiration artistique commune, si différentes puissent-t-elles sembler dans la forme, prises individuellement. Pour une fois, on peut même parler de véritable "romantisme", notamment dans cette belle scène où les deux jeunes gens s'amusent à dessiner sur la même planche de bande-dessinée, racontant ensemble la même histoire. Ryuhei Matsuda (Tabou, Blue Spring) et Wakana Sakai s'en donnent à cœur joie tout au long du film, n'hésitant pas à se montrer sous un jour parfois peu flatteur (Ryuhei Matsuda en Yunsung ou, au choix, déguisé en montagne de pierres !) mais savent aussi l'instant d'après faire ressortir toute la sensibilité de leurs personnages, et ce avec le plus grand naturel. Le film leur doit beaucoup.

    Frais, léger, drôle, chaleureux, parfois absurde mais toujours percutant, Otakus in Love dit beaucoup de choses à la fois sur la difficulté de rester soi-même dans la vie, dans la voie artistique que l'on s'est choisie ou encore en amour, tout cela avec un ton unique qui en fait l'une des œuvres les plus enthousiasmantes que le cinéma japonais nous ait offert sur les contradictions de la jeunesse d'aujourd'hui.

    Caroline Leroy

     

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