• Interview de Louis Leterrier, réalisateur de Danny The Dog

    A 32 ans, le réalisateur français révélé par Luc Besson livrait un étonnant film d'action avec la star Jet Li. 

    A l'occasion de la sortie en DVD du film, Louis Leterrier a accepté il y a quelques années de me parler de son expérience avec Jet Li, de sa carrière et de ses projets. Entretien fleuve.

    Caroline Leroy : Peux-tu nous retracer brièvement ton parcours ?
    Louis Leterrier : Mes parents font tous les deux du cinéma. Mon père est réalisateur et ma mère est costumière, j’ai donc toujours baigné dans ce milieu. J’ai commencé à faire des courts-métrages quand j’avais 8 ans. On raconte que Spielberg a commencé à 12 ans, je l’ai battu ! (rires). A l’époque, c’était les débuts de la vidéo et les caméras coûtaient très cher pour des résultats médiocres. Comme mon père ne voulait pas m’acheter de caméra, je faisais des petits courts avec une super 8. Un jour, la 5 - la chaîne de Berlusconi – a organisé un concours où l’on pouvait gagner une caméra. J’y ai participé en présentant un petit court-métrage d’horreur et j’ai gagné la caméra.

    Interview de Louis Leterrier, réalisateur de Danny The Dog

    C’est à partir de là que j’ai commencé à faire plein de courts-métrages et que j’y ai pris goût. J’avais vraiment envie de réaliser mais j’étais adolescent et je ne voulais pas faire comme papa et maman. Comme je faisais aussi de la musique à côté puisque j’étais batteur dans des groupes de rock, j’ai pensé devenir batteur professionnel. Ça marchait assez bien pour moi, du moins à mon niveau. Aujourd’hui, lorsque je travaille avec de vrais musiciens, je réalise que j’étais nul.

    Quand il a fallu choisir les études secondaires, deux choix s’offraient à moi. Soit j’allais au conservatoire sachant que je n’avais pas le niveau requis pour cela - j’étais un batteur un peu intuitif –, soit je faisais du cinéma, ce qui était ma véritable passion mais je refusais de l’admettre. J’ai finalement décidé de faire du cinéma mais de le faire un peu différemment. Je n’aime pas tellement le côté FEMIS qui se la raconte, et il faut reconnaître que pour notre génération, il n’existait pas vraiment de cinéma pour adolescents en France. Les seuls films qui me plaisaient à l’époque, c’était les Indiana Jones, les Retour vers le Futur, Star Wars etc. Je ne retrouvais pas la même chose avec un film français, même si j’appréciais de temps à autre des films comme Un éléphant ça trompe énormément ou L’Hôtel de la plage. Je les trouvais rigolos mais ça n’allait pas plus loin.

    Interview de Louis Leterrier, réalisateur de Danny The Dog

    Tu es parti étudier aux États-Unis ?
    J’ai décidé d’aller aux États-Unis pour voir un peu comment ils faisaient leurs films. Los Angeles ne correspondait pas à mes ambitions, j’ai donc préféré New York qui a pour réputation d’être plus « artistique ». Je gardais une jambe en France et l’autre aux États-Unis. Mes études se sont très bien passées, je me suis éclaté et cela m’a conforté dans l’idée que je voulais faire partie du cinéma. Le premier jour, à l’université, ils rassemblent tout le monde dans un énorme amphithéâtre et ils demandent « Qui veut être réalisateur ? ». Sur les 400 personnes présentes, 400 lèvent la main. Sur le coup, c’est décourageant parce que ce sont tous des fils à papa, des fils de producteurs qui ont tous les équipements vidéo à disposition. Moi, je n’avais pas tout ça. Seulement, ces mecs là ne cherchent pas plus loin que le bout de leur nez, ils ont davantage un esprit de producteur que de réalisateur et ils ne cherchent qu’à refaire ce qui a déjà été fait.

    On présentait chaque semaine des courts-métrages qu’on avait réalisés et chaque semaine, il y avait un remake de Piège de Cristal : Piège de Cristal dans le dortoir, Piège de Cristal dans le métro, c’était chiant. C’était le film à la mode à l’époque mais il paraît qu’aujourd’hui, tout le monde veut faire du Wes Anderson ou du Sofia Coppola ! J’ai décidé de prendre le contre-pied et de faire des films un peu choquants pour les énerver et j’ai eu mon diplôme avec les félicitations du jury. Pour autant, je ne pensais pas pouvoir devenir réalisateur tout de suite. Je n’avais pas envie d’être assistant parce que l’expérience des stages de réalisation m’avait montré que l’assistant-réalisateur était le chien de garde. Faire des mouvements de foule derrière ne m’enthousiasmait pas, ce n’était pas un poste créatif.

    Je me suis intéressé un peu à tout : chef op’, montage, cours de steadicam avec l’inventeur des steadicams, effets visuels... J’ai tout appris, ce qui continue de me servir aujourd’hui. Pourtant, je continuais de refuser de m’avouer mes velléités de réalisation parce que le scénario était un peu mon point faible. Je suis un très bon lecteur, j’arrive à voir immédiatement si un scénario fera un bon film, je vois ce qui peut plaire ou ne pas plaire et ce qu’il faut changer, mais la page blanche me bloque.

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    C’est aussi aux États-Unis que tu as débuté professionnellement.
    Après mes études, j’ai appris par Sigourney Weaver - que je connaissais par l’intermédiaire de ma mère – qu’Alien 4 allait se tourner. J’étais fan de la saga Alien et le film allait être réalisé par Jean-Pierre Jeunet dont j’étais fou. Je me suis dit que c’était l’opportunité de ma vie, qu’il fallait que je prenne mon courage à deux mains. Et alors que j’avais toujours refusé de me faire pistonner jusque là pour ne pas ressembler à tous ces fils à papa, j’ai appelé Sigourney. Je lui ai demandé si elle pensait que c’était possible et elle m’a répondu qu’elle n’aimait pas tellement faire ça. J’ai insisté sur le fait que je voulais seulement me rapprocher et elle a finit par dire oui. Elle m’avait trouvé un boulot comme dixième stagiaire sur le film.

    Au début je n’avais que des tâches inutiles, comme bloquer la porte du studio dans le studio alors qu’il y a le rouge ! Je cuisais au soleil. Un jour, Jeunet est sorti et m’a salué en anglais. Je lui ai répondu en français et il m’a dit « t’es français ? ». C’est ainsi que nous avons fait connaissance et petit à petit, on est devenu assez amis. Je me suis rapproché lentement de la face. Sur Alien 4, c’était la première fois qu’on utilisait de l’AVID pour faire des compositings, des playbacks, pour pré-monter des séquences. Il se trouvait que j’avais justement appris ça à l’université et que le type qui s’occupait de la vidéo ne savait pas le faire. Ils m’ont mis à sa place et j’ai continué de me rapprocher, au point qu’à la fin du tournage, on n’était que cinq à la face : Jeunet, Darius Khondji, Pitof, la scripte et moi. Le dimanche, Jeunet m’appelait pour me demander de venir. Le soir, je restais pour faire mes back-ups, j’étais seul dans le studio avec les aliens autour de moi. J’avais 23 ans, c’était l’un de mes films préférés… Ça a été une expérience géniale.

    Ensuite, j’ai participé à la post-production : j’ai fait certains effets, j’ai trouvé toutes les planètes, j’étais en relation avec la NASA... Tout cela m’a appris comment une grosse machine se faisait. Je n’avais plus d’appréhension parce que je voyais quelles étaient les relations du réalisateur avec le studio ou avec les stars. Et comme j’étais ami avec Sigourney, je me rendais compte de ce que les stars peuvent vivre avec le réalisateur.

    Interview de Louis Leterrier, réalisateur de Danny The Dog

    Un peu plus tard, il y a eu la rencontre avec Luc Besson...
    Après l’expérience Alien 4, je voulais rester aux États-Unis et c’est pourquoi j’ai participé à Restons groupés de Jean-Paul Salomé, un film moyen mais rigolo qui nous a conduit à un grand voyage à travers les grands sites touristiques américains. A l’issue de ce tournage, j’ai été contraint de rentrer en France car mon visa expirait. Et juste à ce moment-là, ma mère a été engagée par Luc Besson pour travailler sur Jeanne D’Arc et m’a dit qu’ils cherchaient des assistants-réalisateurs. Je ne voulais pas être assistant, j’avais été second sur Restons groupés et je n’avais pas envie de faire le chien de garde. Mais l’envie de travailler avec Besson a été la plus forte. Il était l’un de mes réalisateurs préférés à l’époque : Nikita, Le Dernier Combat et même Subway qui a beaucoup vieilli étaient des films vraiment importants pour moi.

    J’ai accepté de redevenir stagiaire sur Jeanne D’Arc alors que j’étais normalement assistant, juste pour le plaisir de travailler avec Besson. En réalité, j’étais plus qu’un simple stagiaire puisque je faisais répéter les comédiens. Ensuite je suis reparti aux États-Unis, j’ai écrit des scénarios et j’ai fait Asterix et Obelix : Mission Cléopâtre, puis des pubs avec Besson et on s’est revu sur Asterix… En fait, on ne s’est jamais vraiment quittés, Besson et moi. Un jour, alors que l’on faisait une pub ensemble sur laquelle j’étais assistant, j’ai su qu’il préparait Le Transporteur qui devait se faire avec Corey Yuen en tant que réalisateur unique. Corey Yuen ne parlant pas français ni anglais, avait besoin de quelqu’un pour l’aider à diriger les comédiens. J’ai été engagé pour être son « assistant artistique ». Mais Corey est arrivé seulement deux semaines avant le début du tournage, c'est-à-dire beaucoup trop tard. Il m’a demandé si ça ne me dérangerait pas de commencer le film à sa place et j’ai répondu que non. Puis il a ajouté qu’il ne fallait pas le dire à Besson sinon nous serions tous deux virés sur le champ. J’étais ravi et tout le monde m’encourageait à foncer.

    J’ai pris le train en marche et Besson l’a finalement su mais ne me l’a jamais dit. J’ai entièrement réalisé le film. Je n’ai pas chorégraphié les scènes de combat mais tout le reste, c’était moi. Or je n’avais jamais fait de vrais courts-métrages avant Le Transporteur.

    Réaliser des films d’action, c’est donc une opportunité qui s’est présentée à toi ? Est-ce que tu aimes ce genre de films ?
    Je suis assez bon public et j’adore voir des films d’action mais ce ne sont pas forcément les films vers lesquels je me tourne en premier. Il faut me traîner pour aller voir Les 4 Fantastiques ! Je ne suis pas non plus un grand fan des films de kung fu. Mais c’était une excellente opportunité et j’aurais fait n’importe quoi. Je me suis jeté à l’eau et j’ai pensé qu’il fallait essayer de faire ce film différemment, j’ai donc ajouté quelques touches personnelles.

    A l’origine, Le Transporteur était un film à la Seagal avec pour héros un mec très con qui tapait sur tout le monde. J’ai rendu ce personnage un peu plus humain et j’ai enlevé du dialogue. Dans le scénario de départ, à chaque fois qu’il foutait un coup de poing, il faisait une blague, un peu à l’américaine. J’ai humanisé et simplifié le film et je pense que c’est un peu grâce à ça qu’il a marché. Voilà mon parcours.

    A présent, il y a Le Transporteur 2, et juste avant il y a eu Danny the Dog qui est un film complètement différent. Néanmoins, j’avoue que j’en ai assez des gros films d’action, cela ne me ressemble pas du tout. Je ne suis pas spectateur des films que je fais, or il me semble très important d’être le premier fan des films que l’on réalise. Là, je n’ai plus la perspective nécessaire et c’est peut-être ça qu’on me reproche un peu : comme je n’aime pas tellement ce genre de films, je les transforme. Je fais des combats qui ne sont pas esthétiques mais qui sont méchants. Pour moi, le combat doit raconter quelque chose et ne pas se limiter à un simple élément visuel.

    Interview de Louis Leterrier, réalisateur de Danny The Dog

    Tu as l’intention de te tourner vers tout à fait autre chose ? Il n’y aura donc pas de Transporteur 3 ?
    Ah si, il y aura peut-être un Transporteur 3 ! Mais cela dépend du succès du second et je crois qu’il serait dommage de tuer la poule aux œufs d’or. Il y aura peut-être une série télé voire autre chose, mais cela ne veut pas dire que je reprendrai la suite en tant que réalisateur. En tant que producteur, pourquoi pas. En réalité, je devais seulement être producteur sur Le Transporteur 2, mais il y a eu de nouveau des problèmes avec Corey Yuen.

    Effectivement, Corey Yuen était encore crédité à la réalisation il y a quelque temps.
    J’ai dû finalement le réaliser, ce qui n’est pas un problème en soi, mais quand tu as trois semaines de préparation, c’est impossible. On avait un budget assez serré. Quand tu fais un film énorme aux États-Unis et que tu as le même budget que Gomez & Tavarès, c’est très difficile… ! D’autant qu’on a eu des problèmes de temps. Quand tu vois par exemple… tu as vu La Guerre des Mondes ?

    Pas encore.
    C’est LE chef-d’œuvre. A mes yeux, Spielberg est vraiment le meilleur réalisateur du monde. Il sait tout faire. J’aimerais bien le voir faire un vrai thriller, un film noir et violent. Avec La Guerre des Mondes, il s’en rapproche. Minority Report était un thriller, un film noir mais urbain. La maestria de cet homme est exceptionnelle. Moi qui m’y connais vraiment bien techniquement, je ne comprends pas comment ils ont pu réaliser certains effets. Il faut voir La Guerre des Mondes avec du gros son, sur un grand écran. J’aimerais bien réaliser un film de cette trempe. A chaque fois que je vois un film comme ça, qui me démonte la tête et qui remet les compteurs à zéro, ça me donne envie de faire du cinéma mais ça me décourage en même temps. Je suis vraiment un grain de sable par rapport à la montagne qu’est Spielberg.

    Il a quand même une longue carrière derrière lui, il a pu expérimenter plein de genres de films différents.
    Tout à fait. C’est pour ça que ça ne me dérange pas d’essayer et de me gourer. Je lis les critiques, les bonnes comme les mauvaises. Evidemment, les bonnes critiques sont très agréables à lire, cela fait plaisir de voir écrit « Louis Leterrier sait bien réaliser ». Mais quand un critique pointe un défaut, c’est aussi très intéressant parce que quelqu’un d’autre t’analyse. C’est comme un grand cours, tu continues à apprendre ton métier toute ta vie. Bien sûr, uniquement si les critiques sont honnêtes.

    Constructives ?
    Constructives et honnêtes. Le problème des critiques en France quand on fait un film avec Besson, c’est que de toute manière ils ne sont pas honnêtes parce que c’est Besson. Ils diront que c’est de la merde. C’était le problème de Danny the Dog. Ce n’est pas un grand film mais c’est quand même mieux que ce que l’on produit d’habitude chez Europa. Mais les gens ne voulaient pas aller le voir « parce que Luc Besson ». Heureusement qu’il y avait Morgan Freeman dont la présence était un apport de qualité supplémentaire qui relevait le film. C’est un peu ça, mon problème avec les critiques. Ca me dérange pas de me justifier honnêtement sur ce qui était moins réussi. Mais une critique ne doit pas se résumer simplement à « j’ai pas aimé, point à la ligne ». Quoiqu’il en soit, j’aimerais bien faire autre chose.

    Interview de Louis Leterrier, réalisateur de Danny The Dog

    Tu as des projets ?
    Oui, j’en ai plusieurs.

    Plutôt en France ou aux États-Unis ?
    Je crois que je vais aller aux États-Unis. En France on a tendance en ce moment à vouloir émuler ce qui s’est fait là-bas. On rencontre le même problème que les Américains au milieu des années 80 : ce qui marche, on va le refaire. Ce problème existe toujours aux États-Unis mais j’arrive avec un bagage différent. On m’a proposé Les 4 Fantastiques, j’ai refusé.

    Les films de super-héros ne t’intéressent pas ?
    Ce n’est pas vraiment ça. Pendant 15 minutes, il a été question que je réalise X-Men 3 et j’aurais adoré le faire parce qu’il y a une vraie histoire derrière. En ce qui concerne Les 4 Fantastiques, le scénario était tellement con… Quand je l’ai eu, il était encore à l’état de synopsis et je sentais que le casting serait mauvais, il n’y avait que des stars de télé.

    Le film d’action, c’est un genre, mais on peut toujours chercher à le transcender.
    Oui. Old Boy, par exemple, est à mes yeux un film d’action. Un film d’action à la sauce coréenne donc plus lent, mais si on le transcrit aux États-Unis, ça peut être intéressant.

    Ils vont en faire un remake, d'ailleurs....
    Je sais, ils me l’ont proposé ! J’ai dit non parce que j’aime tellement l’original. Ce sont des films comme ça qui m’intéressent. Ou de la grosse science-fiction. En ce moment, je suis tenté par de la grosse science-fiction.

    Faire de la science-fiction en France, ce n’est pas vraiment évident.
    En réalité, on peut en faire mais il y a toujours un espèce de côté « auteur » en France qui est dérangeant. Immortel Ad Vitam de Bilal était difficilement regardable, d’abord parce que les effets spéciaux étaient immondes et ensuite parce qu’à un moment, elle se met à déclamer du Baudelaire et c’est complètement con. Il faut assumer le genre : si tu fais un space opera, tu le fais bien ! Avec de bonnes séquences d’action, pas juste des vaisseaux qui explosent mal.

    On a l’impression que la science-fiction n’est pas un genre très estimé en France. Pourtant, on a une vraie littérature de science-fiction.
    Exactement, tous les romans de Barjavel sont passionnants à adapter…

    Ou Pierre Bordage…
    Tout à fait ! J’aurais adoré par exemple adapter ce très bon livre qui ressemble un peu à The Island : Reproduction Interdite de Jean-Michel Truong. C’est un peu Spartacus chez les clones ! Les gens riches ont tous un clone qui servira de réservoir à pièces détachées. Les clones se rendent compte qu’ils sont clones et vivent dans des fermes, ils se rebellent et attaquent les humains. Adapter ce genre de livre me plairait beaucoup, j’aimerais bien faire de la science-fiction réaliste. Le genre de film qui nous fait réfléchir à notre propre vie en sortant. C’était un peu le cas de Matrix, même si ça partait plus ou moins en couilles au bout d’un moment. Mais ce n’est pas évident de trouver les financements pour ce genre de films, donc on verra.

    On imagine mal un film comme Matrix se faire en France.
    Oh oui ! Et pour tout dire, les stars françaises ne m’excitent pas trop. Il y a des comédiens français qui m’excitent vraiment, mais les stars françaises… Sophie Marceau dans le rôle de Trinity, Vincent Lindon dans le rôle de Neo… C’est un peu toujours les mêmes et ils n’ont pas véritablement le côté « star ». C’est une des raisons pour lesquelles j’ai toujours été plutôt attiré par le cinéma américain : là-bas il y avait Harrison Ford, des gens comme ça. Ou bien le cinéma anglais. Les acteurs anglais ont de vraies tronches mais ils jouent beaucoup plus. Sur Danny the Dog, ils s’investissaient à fond.

    Interview de Louis Leterrier, réalisateur de Danny The Dog

    Danny the Dog a un positionnement un peu atypique en mélangeant scènes d’action très poussées voire violentes et drame intimiste. C’est d’ailleurs l’aspect du film qui semble avoir le plus dérouté la critique américaine. Comment as-tu abordé ce film ?
    En effet, le problème est celui du positionnement de ce film. On n’est pas encore habitué au métissage des genres au cinéma. Quand on va au cinéma, on sait ce qu’on va voir. C’est en train de changer avec Danny the Dog, avec Old Boy

    Les films asiatiques mélangent beaucoup les genres.
    C’est vrai, et je pense justement que c’est l’avenir du cinéma, un peu comme l’électro dans la musique. Dans le cinéma on est encore comme en 1950 en musique : il y a le rock’n roll, le classique, le jazz. Or aujourd’hui, tous les courants musicaux se croisent, se mélangent. Je pense que c’est ce qui est en train de se produire au cinéma, mais que ce n’est pas encore établi. Et les critiques ont du mal à accepter ce changement. Mais j’ai envie de continuer sur cette voie. J’avais aussi fait ça sur Le Transporteur où j’avais mis un peu d’humour, un peu de tendresse, ce qui était peu évident avec un tel scénario parce qu’il n’y avait pas vraiment de matière. Maintenant, quand je lis un scénario, c’est le métissage que je recherche, et je pense que c’est une question de temps. Il est vrai que Danny the Dog est inclassable. Cela dit, il vaut mieux le classer film d’action parce que c’est trop simple pour un drame ou pour une comédie dramatique, mais c’est mieux qu’un film d’action typique. De cette manière, le public est agréablement surpris.

    Quelles sont pour toi les différences entre la collaboration avec Yuen Woo Ping et la collaboration avec Corey Yuen ? On dit que Corey Yuen fait davantage de concessions, tandis que Yuen Woo Ping a la réputation d’être très intransigeant. Par exemple, les relations avec Ang Lee sur Tigre et Dragon étaient paraît-il assez tendues…
    Cette différence entre Corey et Woo Ping est sans doute vraie. Corey est là pour faire son boulot, point barre. Que ce soit bien ou pas, il essaie de faire le mieux qu’il peut avec ce qu’on lui donne. Alors que Woo Ping, on l’appelle « Maître ». Pour Danny the Dog, on a fait une réunion pendant deux jours avec Woo Ping - dont on voit un extrait dans le DVD. On a disséqué tous les combats et chacun a exprimé ses volontés. Je lui ai dit que je souhaitais être là pour le premier combat qui est aussi celui du début du film, que j’aimerais le chorégraphier avec lui, décider des coups et ensuite le laisser réaliser la technique tandis que je resterais là et tiendrais la caméra. Je voulais lui montrer le niveau de violence que j’attendais. Je lui ai suggéré des coups et il m’a dit que c’était trop violent, par exemple quand Danny défonce la tête d’un type. J’ai insisté pour que l’on parte de ça pour ensuite évoluer dans un style qui lui serait plus personnel. Je ne voulais pas que le personnage de Danny soit trop « kungfuesque », je voulais du combat de rue. Comme je le dis souvent, les coups qu’il donne sont les coups qu’il a reçus. On a donc fait la première chorégraphie ensemble et ensuite je lui ai dit que je le laissais seul, qu’on regarderait les rushes ensemble mais que c’était bel et bien à lui de chorégraphier.

    A partir de là, tout a été plus simple. Je trouve qu’il est plus intéressant de s’entourer de gens talentueux et de les laisser libres que de vouloir tout contrôler. Quand on engage Woo Ping, on le laisse faire. Tu as Woo Ping et tu as Jet, tu sais que même si tu n’es pas là, ça roule. Il fallait juste veiller à la continuité parce que je voulais que les combats racontent une histoire. Je racontais l’histoire dans les combats mais les poses, les regards, tout ce qui est coups, c’était Woo Ping.

    Interview de Louis Leterrier, réalisateur de Danny The Dog

    Est-ce que tu aimais les films d’arts martiaux de Hong Kong avant de tourner ces films ou est-ce que tu les as découvert à cette occasion ?
    J’avais vu beaucoup de films d’action chinois quand j’étais à New York. Il m’a paru plus intéressant de regarder les films américains que je n’avais pas vus pour analyser les erreurs. Je ne voulais pas tenter de reproduire le cinéma de Hong Kong mais je voulais voir ce que Hollywood avait fait de mauvais. Nos films français sont à mi-chemin entre les deux, on raconte une histoire et on n’a pas la phrase qui tue après l’action. Mais il m’est difficile de regarder un film de Hong Kong sans bailler. Peut-être est-ce à cause de mon éducation mais je trouve ces poses, ces regards, tout ce qui est « kungfuerie », un peu ridicule.

    Pourtant, dans ces regards avant l'affrontement, il y a une parenté avec le western.
    C’est vrai, mais j’avoue que je n’ai jamais vraiment aimé les Sergio Leone non plus. Je préfère être honnête avec moi-même et avec les fans de kung fu en leur disant : « je comprends très bien ce que vous pouvez aimer, mais moi ça me plaît pas et je vous propose quelque chose de différent. Si ça vous plaît, tant mieux, si ça vous plaît pas, tant pis ». C’est un peu aussi ce que me reprochent les critiques de temps en temps, en disant que ce que je fais est différent des films de Hong Kong. Soyons lucide, on n’arrivera jamais à faire comme les films de Hong Kong. Cela dit, j’aime beaucoup ce que fait Tsui Hark et quand j’ai l’occasion de voir un film de Hong Kong aussi bon que Time and Tide, je suis ravi. Tsui Hark ne cesse d’inventer, ses films sont faits de bric et de broc mais il sait incontestablement filmer. En revanche, il y a des séries B asiatiques que je trouve vraiment très mauvaises, comme Tube (Baek Woon Hak, ndlr) que j’ai vu récemment. Et les films comme La 36ème Chambre de Shaolin m’ennuient profondément (rires). A ce propos, RZA de Wu Tang Clan a fait la musique de Danny the Dog pour les États-Unis et lorsqu’on était à Londres pour travailler dessus, on a voulu aller acheter des DVD. Il me montrait un par un des DVD de films d’arts martiaux en m’expliquant : « alors là c’est super bien parce qu’il fait une prise comme ça à un moment » (rires). J’ai regardé les films en question et j’étais atterré.

    Combien de films possèdes-tu dans ta DVDthèque ?
    Je dois en avoir 500 au total mais je n’en ai que 50 chez moi parce que je les prête. Or quand on prête, on ne revoit plus jamais rien. J’achète environ deux ou trois DVD par semaine en essayant de trouver des films originaux. Hier, j’ai acheté Hitch, Otages et Naked, ainsi qu’un documentaire de la BBC sur une mission dans l’espace. J’ai envie d’arrêter de regarder la télé pour ne regarder que des DVD. C’est aussi grâce aux laserdiscs et aux DVD que j’ai appris mon métier. Avec les commentaires des réalisateurs et les making of, on comprend vraiment les problèmes que peut rencontrer un réalisateur et quand on devient soi-même réalisateur, on n’est pas surpris. Le week-end dernier, je me suis plongé dans le gros coffret Alien, dont je n’avais jamais regardé les suppléments. Ces documentaires sont excellents, ils n’ont rien de consensuel. Les personnes interviewées se critiquent les unes les autres et les anciens réalisateurs viennent même raconter pourquoi ils se sont fait virer, comme Renny Harlin sur Alien 3.

    Interview de Louis Leterrier, réalisateur de Danny The Dog

    Beaucoup de suppléments se résument à de la promotion mais il arrive que sur certains DVD, les réalisateurs aillent parfois jusqu’à faire leur autocritique.
    C’est la raison pour laquelle je ne voulais pas faire mon commentaire audio sur Danny the Dog. Je suis trop proche encore de la sortie du film et celui-ci n’a pas encore été digéré par les gens. Cela risquerait donc de tourner à de la simple promo. C’est aussi pour cela que je n’aime pas tellement faire des interviews pour Le Transporteur non plus. Je n’ai pas envie de vendre ma soupe et dire : « ah, c’est génial de travailler avec Jason Statham ». Les gens s’en foutent. Par contre, je trouve ça passionnant quand quelqu’un peut analyser le film à sa sortie et mettre le doigt sur ce qui a marché et ce qui n’a pas marché. C’est ce que je compte faire quand Danny the Dog va ressortir à Noël en édition THX. Tous mes films vont sortir en édition ultimate parce que je les ai tannés avec ça. Je voulais que l’on obtienne le label THX en France et maintenant on l’a et c’est tant mieux. Pour Danny the Dog, j’ai envie de faire un commentaire audio avec d’autres réalisateurs, il y aura peut-être Gaspard Noé ainsi que d’autres amis. On ne fait certes pas du tout le même genre de film mais il est intéressant de critiquer le film de l’autre. Je veux offrir aux gens de vrais suppléments. Je vais aussi refaire le son et l’image et lorsque le HD ou le Blu-Ray sortira, on fera la même chose.

    Y aura-il beaucoup de bonus en plus dans l’édition ultimate de Danny the Dog ?
    Oui, il y aura beaucoup de choses en plus mais ce seront des choses différentes. On n’y retrouvera pas le making of de l’édition simple, il y en aura un autre à la place. Je déteste gruger les gens tout comme je déteste être arnaqué en tant que consommateur. Le film sera techniquement amélioré et tous les commentaires et suppléments seront inédits. On sort le film en DVD en août parce qu’il est attendu mais je n’ai pas été en mesure de superviser réellement cette édition. Ce sera tout le contraire avec l’édition ultimate dont je vais m’occuper personnellement et tout retravailler, recadrer, re-étalonner comme je l’ai fait pour l’édition ultimate de Transporteur. Les transferts ne sont jamais bons, les compressions ne sont jamais terribles et il faut les vérifier. C’est seulement après ce travail que cela mérite le nom d’édition « ultime ». Quand on observe la courbe de l’oscilloscope sur la nouvelle édition de Transporteur, on voit que le son est parfait. Sur Danny the Dog, il sera encore meilleur. Il est déjà bon sur l’édition qui sort en août mais il a été harmonisé avec un nouveau procédé qui affecte un petit peu le piano. Je vais utiliser un procédé encore plus perfectionné sur le point de sortir afin d’harmoniser encore davantage le son. Je prends soin d’harmoniser le son de mes DVD afin que les acteurs récupèrent leurs vraies voix, contrairement à beaucoup de DVD où les voix sont trop aiguës. Ainsi le premier DVD de Transporteur n’est pas harmonisé mais l’édition ultimate l’est. Je fais même des DTS en VO pour les nerds (rires). C’est quand même nettement plus agréable de voir un film bien compressé, sans fritouilles… L’autre jour, je voyais Snake Eyes de Abel Ferrara, et c’est tellement dommage parce que la copie est absolument dégueulasse.

    Merci beaucoup pour cet entretien.
    Merci.

    Propos recueillis par Caroline Leroy

    Interview publiée sur DVDRama.com le 26 juillet 2005


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