Depuis un an, Jean-Marc Vallée vit un véritable conte de fées. Son film C.R.A.Z.Y., qui débarquera dans les salles françaises le 3 mai prochain, a rencontré un immense succès public dans son pays d'origine et vient de rafler toutes les récompenses pour lesquelles il était nominé aux Jutras 2006 (l'équivalent des Césars français). Tout juste revenu de Londres où le film a reçu là aussi un accueil enthousiaste, le réalisateur a gentiment accepté de répondre à nos questions.
Caroline Leroy : Le scénario est inspiré de la vie de votre scénariste François Boulay. Pouvez-vous nous en dire davantage?
Jean-Marc Vallée : Il n'est pas inspiré de la vie de mon scénariste mais de mon collaborateur. François Boulay a collaboré en lisant mon scénario. Ce ne sont pas ses mots ni ses écrits mais j'ai élaboré ce scénario à partir de souvenirs personnels qu'il m'a donnés en vrac. J'ai écrit pendant un an, à temps plein. Ce scénario est mon dur labeur, ma sueur, mon sang, mes mots, ma plume, ma prose. A partir de ce qui m'a touché dans ce qu'il m'a raconté de sa vie, j'ai mélangé son monde et le mien et ça a créé le monde de C.R.A.Z.Y.. Tout ce qui a trait à l'orientation sexuelle du personnage et à la relation père-fils, c'est lui, tandis que tout ce qui touche à la musique et à la spiritualité, c'est moi.
Le projet a-t-il mis longtemps à se monter?
Oui, très longtemps. J'ai tout d'abord passé quatre ans à écrire à temps partiel, suivis d'année à temps plein comme je viens de vous le dire. Puis il a fallu trois ans pour développer le projet, essayer de trouver les financements et surtout les bons partenaires, c'est-à-dire le bon coproducteur et le bon distributeur. Enfin, cela a pris deux ans pour préparer le film, le réaliser, le monter et faire la post-production. Quand j'ai commencé, j'avais 32 ans et quand j'en suis sorti l'an passé, j'en avais 42. Aujourd'hui, j'ai 43 ans et ça fait un an que je me promène à droite à gauche avec ce film. Mais je suis très heureux car c'est un beau succès. C'est même un succès phénoménal, exceptionnel. Le genre de succès qui n'arrive peut-être qu'une seule fois dans une vie.
Pensez-vous que ce film va générer une vague de films de cette envergure au Québec ? Ou bien C.R.A.Z.Y. restera-t-il un cas à part?
Je crois que ce film va inciter les jeunes cinéastes (ou les moins jeunes) à prendre conscience qu'on peut aussi s'éclater chez nous, malgré nos budgets. C'est d'ailleurs comme ça que le projet s'est initié. J'approchais la quarantaine et j'étais plus ou moins heureux de ma carrière professionnelle et de ma vie – à quarante ans on se pose des questions. Je comparais les films que j'avais faits avec ceux que j'aimais, et je les trouvais très différents. Mes films n'étaient vraiment pas du tout à la hauteur. J'ai fini par réaliser que personne ne m'envoyait de bons scénarios, alors j'ai décidé d'en écrire un moi-même. Pour qu'au moins une fois dans ma carrière, je puisse me sentir fier de faire un beau film, un film qui donne des ailes aux autres comme ces films m'en ont donné à moi. Bien sûr, C.R.A.Z.Y. a été écrit dans un but très égoïste, celui de me faire plaisir. Et en me faisant plaisir, je me suis aperçu que je pouvais en donner aux autres.
Avez-vous cherché à faire passer un message?
Il est certain que j'ai pensé au public en faisant ce film. En tant que cinéaste, je cherche avant tout à communiquer quelque chose. Mon approche du cinéma est très simple : je me considère avant tout comme un raconteur d'histoires. Je ne choisis pas un thème pour ensuite broder autour. A l'inverse, je commence par raconter et j'assume le thème que cette histoire-là véhicule. Il est possible que d'autres thèmes m'échappent au fil du récit et du travail effectué. C.R.A.Z.Y. est une histoire d'amour entre un père et son fils mais c'est en même temps l'histoire d'un combat intérieur. Je n'ai pas fait ce film pour servir une cause particulière mais pour procurer un moment spécial de cinéma au public. Or il sert bel et bien une cause, la cause homosexuelle.
L'autre aspect qui m'a échappé est la spiritualité, dont je n'avais pas envisagé au départ qu'elle tiendrait une place aussi importante. Je savais que je voulais placer Zac dans des positions christiques mais le film va plus loin et livre un beau message d'espoir et de foi. Pas une foi religieuse car il n'y a ici aucun prosélytisme. A mes yeux, la foi représente la capacité qu'a l'être humain de faire confiance à son intuition. Croire que l'on peut y arriver, un peu comme dans L'Alchimiste de Paulo Coelho, où l'univers conspire pour nous permettre de réaliser ce que nous désirons le plus au monde. Qu'est-ce que l'univers ? Y a-t-il vraiment des forces qui nous aident ? Je n'ai pas la réponse et je ne cherche pas non plus à l'avoir. Il s'agit peut-être d'une foi un peu naïve mais c'est une façon de croire qui me plaît, qui me fait beaucoup de bien et que j'aime transmettre à mes deux garçons. Elle est centrée sur la beauté des choses, à une époque où la laideur est tellement omniprésente dans le quotidien, avec les guerres et toutes ces conneries. Je refuse de croire qu'on est aussi bêtes, je veux croire au contraire qu'on est capables de grandeur. C.R.A.Z.Y. m'a pris dix ans de ma vie et si je n'avais pas eu mes enfants pour me rappeler que je dois leur donner une leçon de vie… Ça faisait des années qu'ils me voyaient travailler et ils m'ont encouragé alors que j'ai si souvent eu envie de tout laisser tomber.
Vous semblez avoir beaucoup de tendresse pour tous les personnages de C.R.A.Z.Y. sans exception. La force du film vient du fait que vous ne portez pas de jugement sur eux malgré les erreurs qu'ils commettent.
Personne n'est parfait ! C'est pour cela que je parle de fable mystique sur l'âme humaine dans sa beauté et sa folie. On peut être fou et souffrir énormément mais en même temps, on a besoin de ça pour apprécier les moments de bonheur. Les familles parfaites, ça n'existe pas. En ce qui me concerne, je suis issu de la classe moyenne et j'ai été élevé dans une famille très catholique, comme François. Ma famille, je la trouve belle et ce même si j'en ai bavé. Arriver à s'assumer et à prendre sa place dans la vie, dans la famille et dans la société, ce n'est pas facile. Ce que je voudrais dire à travers ce film, c'est que cela en vaut la peine malgré tout. J'ai un profond respect pour tous les personnages, pour leurs qualités comme pour leurs faiblesses. Je suis un peu Raymond, ce salaud, je suis un peu Zac, je suis un peu Lorianne, Gervais… Je suis sûr que vous êtes comme ça aussi (rires)!
La portée universelle du film peut expliquer son énorme succès.
En effet, le succès du film transcende le seul combat du personnage principal. On a tous en soi ce besoin de se définir ainsi que cette même quête de bonheur. "Vais-je assumer le fait que je dois accepter une réalité ?" Peu importe de quelle réalité il s'agit, c'est une question que tout le monde s'est posé à un moment donné. On en revient à ce que je vous disais sur la longue gestation du film, durant laquelle je me suis souvent demandé si j'aurais la force de tout changer Toutefois, il y a beaucoup de bons films voire de très bons films qui ne connaissent pas du tout ce succès-là, alors comment expliquer un tel phénomène ? Le film en lui-même n'est pas la seule raison, il s'agit avant tout d'une question de timing, de chance, d'alchimie. Il est sorti au bon moment, la bonne année, il parlait de choses que les gens étaient prêts à accueillir de cette façon-là. Et d'un seul coup, la planète se l'approprie et le film est distribué dans plus de 50 pays à travers le monde. Tout cela me dépasse.
Personne ne peut être préparé à ça, non?
En effet (rires). Ce n'est pas possible de faire un film en se disant : "vous allez voir, moi je sais". On sait ce qui peut faire un bon film : le travail, la passion, la persévérance… De cette façon, on arrive évidemment à quelque chose de bon. Mais est-ce que ce film connaîtra ce genre de succès-là ? Alors, quand ça arrive, on pense au film de Bertrand Blier et on dit "Merci la vie".
Quels sont vos prochains projets?
J'adapte un roman français dont je tais le titre et le nom de l'auteur parce qu'on n'a pas libéré les droits. Par superstition, j'attends.
Justement, qu'en est-il de la sortie au Etats-Unis de C.R.A.Z.Y. ? On a entendu parler de problèmes de droits musicaux concernant les chansons utilisées dans le film.
Il ne s'agit là que d'un prétexte pour expliquer leur refus. Toutes les majors américaines ont refusé de distribuer le film. Je crois que le fait que ce soit en français, que leurs recettes en langues étrangères n'aient pas été très bonnes ces dernières années et qu'ils aient tous déjà acheté l'un de ces films y est pour beaucoup. Joyeux Noël a été acheté par Sony et tous les films en lice aux Oscars l'ont aussi été par d'autres distributeurs, ce à quoi il faut ajouter quelques films qui n'étaient pas en compétition. D'autre part, je pense que le thème de l'homosexualité leur a fait peur, bien qu'il ne résume pas le film à lui seul. Ils avaient déjà Brokeback Mountain et Transamerica alors ils ont dû se demander si ça allait marcher, si c'était un film d'auteur ou un film grand public… Les droits musicaux de C.R.A.Z.Y. représentent 200 000 $ or ils achètent les films en langue étrangère entre 500 000 $ et 1,5 m$ ! Je ne crois donc pas que cet argument soit valide. Contrairement à ce qui s'est produit dans les autres pays, le timing pour les Etats-Unis n'était pas bon.
Espérons que ce n'est pas pour en faire un remake…
On a des offres (rires)
Propos recueillis par Caroline Leroy
Interview publiée sur DVDRama.com le 27 avril 2006
Agé de 22 ans seulement, Marc-André Grondin s'est vu propulsé sur le tout devant de la scène québécoise grâce au succès de C.R.A.Z.Y., sorti dans les salles locales l'année dernière. Depuis, le film sillonne le monde et le talent du jeune comédien ne laisse personne indifférent. De passage à Paris en même temps que le réalisateur Jean-Marc Vallée et le comédien Michel Côté, Marc-André Grondin nous a accordé un entretien. Souriant, naturel et décontracté, il démontre en un clin d'œil que la folle aventure C.R.A.Z.Y. ne lui est pas le moins du monde montée à la tête.
Caroline Leroy : Vous avez pas mal travaillé pour la télévision avant, était-il impressionnant de vous retrouver dans le premier rôle d'un film de l'envergure de C.R.A.Z.Y.?
Marc-André Grondin : Ça l'était mais j'avais tout de même beaucoup fait de cinéma au début des années 90 et j'étais donc déjà rôdé. Mais il est certain que renouer avec le cinéma à travers un tel film est une grande chance. De tels succès sont rares au Québec et il n'est pas courant que l'on puisse s'exporter de cette façon.
Même au Canada anglais?
Le Québec et le reste du Canada sont très isolés l'un de l'autre. Il n'est donc pas évident pour nous de montrer nos films au Canada, de même qu'il est difficile pour les Canadiens de faire parvenir leurs films jusqu'à nous. Nous sommes deux grandes solitudes. (rires)
Comment avez-vous abordé ce rôle, qui n'est pas très facile?
C'est drôle à dire, mais cela n'a pas été si difficile que ça. Le tournage s'est bien passé, sans que l'on ait eu besoin de beaucoup répéter avant car le scénario était extrêmement bien écrit. Il n'y avait aucune scène où les émotions étaient ambiguës, tout coulait parfaitement. La musique nous a beaucoup aidés à appréhender les émotions. Savoir que la chanson de Pink Floyd est diffusée durant la scène que vous jouez permet d'en saisir l'atmosphère.
D'autre part, je connaissais Jean-Marc, avec lequel j'avais travaillé il y a douze ans (ndlr : sur le court-métrage Les Fleurs Magiques, 1995). Je connais le genre de cinéma qu'il aime, les films qui l'allument, et je savais par conséquent où il voulait en venir avec C.R.A.Z.Y.. Nous étions vraiment sur la même longueur d'onde tout au long du tournage. Le rôle de Zac n'a pas été plus difficile que d'autres, au contraire. Il est souvent moins évident de trouver le ton juste à travers un rôle uniquement dramatique. Certes, il fallait que je passe à travers plusieurs époques, plusieurs âges et plusieurs palettes d'émotions mais cela fait partie de mon travail. (rires)
Justement, est-ce que ce n'était pas étrange de jouer un adolescent de quinze ans ? Vous êtes assez jeune et cette période peut sembler assez proche mais en même temps très éloignée, comme un autre monde.
Très éloignée, en effet. Comme vous le dîtes, entre quinze et même simplement dix-sept ans, il y a une immense différence. On change énormément. Cela représentait un petit défi de montrer l'évolution du personnage entre quinze et vingt-et-un ans et j'ai aimé ça. Le personnage prend beaucoup plus d'assurance en vieillissant ou en tout cas, veut montrer qu'il en a davantage alors que ce n'est pas nécessairement vrai. Il devient aussi plus provocateur. Il y a beaucoup plus de retenue chez un adolescent de quinze ans et il fallait interpréter quelqu'un de plus fragile, qui se cherchait, qui voulait… une expression anglaise me vient à l'esprit : fit in. (rires) Il veut plaire, essayer d'être cool. Puis à vingt-et-un ans, il tente seulement d'imiter son frère qui, lui, a l'amour inconditionnel de son père alors que c'est un raté qui se fout de tout et envoie chier tout le monde. Zac tente de provoquer pour attirer l'attention de son père et ça marche, en un certain sens. Lors de la scène d'anniversaire autour de la table, il y a une belle complicité entre le père et le fils. La quête de Zac est une quête que l'on a tous vécue à un moment ou à un autre de notre vie. On s'est tous demandé qui on était, on voulait tous ressembler à quelqu'un d'autre : quelqu'un qui a plus de succès, qui est plus beau, plus fort etc. En même temps, on voudrait que nos parents soient fiers de nous.
C'est là la dimension universelle du film, n'est-ce pas?
Oui, et la musique contribue énormément à donner ce ton très universel. Dans les années 60, 70 et 80, tout le monde écoutait ces groupes-là. Tout le monde écoutait The Cure, les Stones, Bowie, Pink Floyd… Aznavour, peut-être ! La musique nous a beaucoup aidés à toucher les gens à l'étranger alors qu'au départ, il s'agit d'un film très local. On ne pouvait pas se mentir à nous-mêmes et plaquer une bande-sonore entièrement québécoise car il est faux de penser que nous n'écoutions que de la musique québécoise durant les années 70, bien au contraire. D'autant plus que le Québec est très américanisé. Nous sommes juste à côté des États-Unis et nous sommes très influencés par leur musique et leur mode de vie. Nous sommes aussi influencés par la musique britannique qui est la base même du rock 'n roll.
Le film a été sélectionné dans plusieurs festivals en France, récemment.
On a fait quelques festivals en France mais je n'étais pas présent parce qu'on a tous une vie. (rires) On a beaucoup voyagé avec ce film, en alternant entre nous trois (ndlr : avec Jean-Marc Vallée et Michel Côté). Il y a aussi pas mal de festivals en Amérique donc pendant que je faisais Montréal, Pierre-Luc Brillant, qui joue Raymond, s'est rendu à Valenciennes. On était à Londres en début de semaine pour l'avant-première et on est arrivés à Paris hier matin.
Le film est sorti au Québec il y a un an. C'est comme s'il continuait à vivre durant une très longue période…
A chaque fois, on croit que c'est fini et puis on recommence. Le film sort dans tous les pays européens et dans le reste de la planète. L'actualité de C.R.A.Z.Y. sera chargée en mai et juin, voire plus tard en octobre, dans certains pays. Au Québec, ils ne veulent plus entendre parler de ce film ! (rires) En particulier après la rafale de prix qu'on a eus. Le film a du succès en Pologne, en Allemagne… c'est sans fin.
L'accueil des festivals français a été excellent.
C'est vraiment incroyable ! On ne s'y attendait pas, tout s'est tellement bien passé dans la dernière année, où qu'on aille. Mais on s'est dit que s'il existait un pays où on risquait de recevoir beaucoup de mauvaises critiques, c'était la France.
Pour quelle raison?
Avec la France, on partage la même langue. Nos accents et nos expressions sont certes un peu différents mais il s'agit tout de même de la francophonie. Les critiques sont par conséquent plus aptes à juger de la qualité du film. Lorsque l'on regarde un film en espagnol ou en russe, on peut se faire une idée du talent des comédiens mais on ne sait pas vraiment de quelle façon ils s'expriment, on manque de références. Au sein de la francophonie, il est plus facile de reconnaître le bon travail des comédiens. D'autre part, je pense que le cinéma français est très en forme, sort de très bons films et les critiques français sont d'autant plus sévères. Je trouve ça très bien car c'est exactement l'inverse au Québec. Je vois des films médiocres recevoir des critiques incroyables et je n'en reviens pas ! Je ne suis pas contre les films populaires car il faut du divertissement, mais certains films ne se veulent pas nécessairement populaires et sont encensés de manière excessive. L'industrie du cinéma québécoise est un très petit milieu. Tout le monde vient travailler avec tout le monde donc on évite de froisser ceux avec lesquels on risque de travailler l'année suivante. C'est pour cette raison qu'au Québec, les acteurs font indifféremment du cinéma ou de la télévision. Ce n'est pas comme chez vous ou comme aux Etats-Unis, où on fait soit du cinéma, soit de la télé, mais pas les deux en même temps.
Quels sont vos prochains projets?
Mon prochain film sort fin septembre, début octobre et j'y ai pour partenaires Carole Laure et Caroline Dhavernas. Il s'agit d'une adaptation d'un film de Marc Herblé qui s'intitule La Belle Bête (ndlr : adaptation réalisée par Karim Hussain). C'est un film noir, très différent de C.R.A.Z.Y.… un film que j'allais décrire comme étant "plus français" ! (rires) Il y est question d'une relation assez incestueuse entre une mère et ses deux enfants. Cela me rappelle beaucoup les films d'Isabelle Huppert, notamment l'ambiance inconfortable de La Pianiste où les relations entre les personnages sont à la fois très spéciales et très belles.
Avez-vous envie de tourner en France?
Bien sûr ! Parce qu'il y a de bons films. On m'en a déjà proposé un mais il ne m'intéressait pas du tout. Dommage car c'est un beau projet. Mais je marche par coups de cœur. Qu'un film soit tourné à Londres, aux Etats-Unis, en France ou en Sibérie, je m'en fous. Au contraire, c'est encore plus fun de pouvoir tourner à l'étranger plutôt qu'à l'arrière de chez soi. Il est possible que j'aille tourner à Vancouver, ce qui est déjà mieux. Montréal-Vancouver représente le même nombre d'heures en avion que Montréal-Paris ! (rires) Le Canada est immense mais sa population ne dépasse pas celle de la région parisienne.
Et aux Etats-Unis?
J'ai signé avec une agence aux Etats-Unis. Ils m'envoient des scénarios mais je n'ai pas l'intention d'aller m'installer cette année à Los Angeles ou à New York. Je suis très difficile. En fait je suis quelqu'un de paresseux ! Cela dit, lorsque je m'investis dans un projet, je m'investis à cent pour cent. Quand je dis aux autres que je suis paresseux, ils sont étonnés car je suis toujours le premier arrivé sur le plateau et je me donne à fond. Mais si je dois me lever à 3h30 du matin pour aller travailler, il faut que ce soit sur un beau projet, surtout en cinéma. On fait un film et pendant qu'on le fait, on donne des interviews et on parle du film. Quand il sort, on continue à en parler et ça recommence si le film sort à l'étranger. Au final, on peut passer un an à en parler, alors si on ne l'aime pas, c'est assez difficile !… (rires) C'est toujours mieux d'y croire. Je tâche de perfectionner un peu mon accent. De cette manière, si je tombe sur un scénario américain incroyable, la barrière de la langue ne me bloquera pas pour le faire. Même chose en France, je verrai bien. On ne s'est pas lancé sur moi, là, mais on ne sait jamais ! (rires)
Propos recueillis par Caroline Leroy
Interview publiée sur DVDRama.com le 1er mai 2006
Dans C.R.A.Z.Y., Michel Côté incarne Gervais, le père bourru et attendrissant de Zac, le héros du film interprété par Marc-André Grondin. Sa prestation exceptionnelle vient tout juste d'être récompensée par le prix du meilleur second rôle à la dernière cérémonie des Génie 2006. De passage à Paris pour la promotion du film-phénomène de Jean-Marc Vallée, il nous a accordé un entretien au cours duquel il revient sur son rôle, sur sa carrière et nous dévoile son nouveau projet. Rencontre avec un comédien chaleureux, aussi charismatique à la ville qu'à l'écran.
Caroline Leroy : Qu'est-ce qui vous a attiré dans le projet C.R.A.Z.Y.?
Michel Côté : Vous allez trouver ça assez bizarre, mais j'étais dans le projet avant même que le scénario soit écrit. J'ai joué dans le premier long-métrage de Jean-Marc qui s'intitulait Liste Noire, il y a à peu près onze ans. J'y tenais le premier rôle, celui d'un juge. A l'issue du tournage, il m'a dit qu'un de ses amis, François Boulay, lui avait raconté l'histoire de sa vie, allait tout coucher sur le papier et qu'il en tirerait un scénario. Il a ajouté que ce film serait une sorte de Forrest Gump québécois, que je jouerais le père et que ce serait excellent. Cela a pris quelques années et un jour j'ai reçu le scénario entre les mains. Effectivement, je ne pouvais pas dire non. (rires) C'était magnifique.
Y a-t-il beaucoup de scénarios de cette qualité au Québec?
Soyons sérieux, c'est rare. C'est un grand scénario, un film qui a été bien fait, avec les moyens qu'on avait, sans aucune prétention. Un film d'émotion et d'humour, tout cela sans cliché et avec beaucoup de pudeur, presque documentaire jusqu'à un certain point. (rires) Les Américains disent toujours que pour faire un bon film, il y a trois conditions, "une bonne histoire, une bonne histoire et une bonne histoire". Avec C.R.A.Z.Y., il y avait une belle histoire et Jean-Marc l'a bien racontée.
Comment avez-vous abordé le rôle de Gervais, qui est très attachant mais qui peut aussi se montrer très antipathique parfois?
C'est le père typique de l'époque, représentatif de 99,9% d'entre eux et peut-être même encore d'une grande proportion aujourd'hui. On employait les grands moyens pour que nos enfants soient bien élevés. On était rude, bougon, un peu agressif à l'occasion mais toujours pour la bonne cause. Car tout cela était destiné à éviter que nos enfants souffrent un jour, qu'ils souffrent d'une mauvaise éducation ou d'un travers, d'une différence qui serait rejetée socialement.
Malgré l'ancrage du film dans une époque, n'y-a-t-il pas une résonance actuelle dans la description de cette famille?
En effet, c'est assez étrange mais on pourrait tout à fait refaire C.R.A.Z.Y. et le situer cette année dans le temps. Ça marcherait quand même. Il est certain que c'est toujours plus touchant de voir un petit qui devient adolescent puis adulte. Cela m'a toujours ému car lorsque l'on regarde un individu marcher dans la rue sans rien savoir de lui et qu'on lui trouve un visage antipathique ou une "tête à claques", comme on dit chez nous… en réalité, si on le revoyait bébé, on le trouverait tellement mignon ! (rires) Si vous avez un patron qui vous fait chier, imaginez-le bébé, ça aide à être compatissant. (rires) Au cinéma, on peut se le permettre. On peut commencer en 1960 et aller jusqu'en 2004 et tout semble beau, on s'attache au personnage de l'adulte parce qu'on vient de le voir en petit garçon il y a deux heures à peine.
Par ailleurs, vous avez aussi beaucoup travaillé pour la télévision.
Oui mais j'ai surtout fait du théâtre. J'ai joué et je joue encore dans une pièce, tenez-vous bien, qui se produit depuis le 21 mars 1979. Elle a débuté dans un petit théâtre que j'ai ouvert avec deux de mes amis. On est trois comédiens, on joue dix-huit personnages et on a joué 2768 fois la même pièce d'octobre à avril chaque année, ce qui équivaut à une moyenne de cent représentations par an. En tout, on a attiré deux millions six cent mille spectateurs au Québec sur une population potentielle de six millions. C'est un gros succès théâtral qui m'a permis d'acquérir une grande notoriété ainsi qu'une grande fidélité de la part du public. Quand les gens sont assis chez eux et regardent la télévision, c'est vous qu'ils voient dans leur salon, alors que lorsque vous jouez au théâtre, c'est eux qui viennent chez vous. Cela demande davantage d'effort, ne serait-ce que parce qu'il faut se déplacer. Mon public m'a suivi au cinéma où j'ai fait plusieurs films. Les années où je n'en ai pas fait, j'ai fait de la télévision et entre autres Omertà, qui a malheureusement été diffusé en France le soir à minuit et a été doublé à la française, ce qui a enlevé toute la couleur québécoise. On avait l'impression de voir Starsky & Hutch à New York, doublé par une équipe française ! Personne ne savait que c'était québécois. Malgré tout, c'était quand même assez bon pour être acheté. (rires) Omertà – La Loi du Silence a duré quatre ans et c'était une série formidable qui a marqué notre télévision. Ensuite, j'ai fait des spéciaux télé et j'ai joué dans une comédie intitulée La petite vie. Il y a eu une tentative de refaire cela en Europe mais l'accueil a été plus mitigé car l'humour se transpose difficilement. Il arrive pourtant que l'humour fasse mouche comme ce fut le cas pour Un gars, une fille (ndlr : série québécoise de 1997 créée par Guy Lepage et réalisée par Sylvain Roy, à l'origine du sitcom français éponyme) dont le titre n'a pas changé en parvenant jusqu'à vous, à l'inverse de La Grande Séduction. A présent, c'est au tour de C.R.A.Z.Y.. Le meilleur film québécois de l'année devait au moins faire une petite apparition à Paris parce de notre côté, nous recevons beaucoup de vos films ! (rires) Moins qu'avant, certes, mais beaucoup tout de même.
Il va bénéficier d'un certain nombre de salles.
On m'a dit 80, puis 100. J'espère qu'il en aura plus encore. En France, un gros canon représente 800 salles. Camping, par exemple, sort dans 600 salles. Cela représente toujours un gros risque pour le distributeur de sortir un film qui ne marchera peut-être pas du tout. Personnellement, je pense que C.R.A.Z.Y. va marcher jusqu'à un certain point. Il y a toujours dans notre métier cette espèce d'incertitude du lendemain mais c'est ce qui donne à la vie tout son charme. Si on savait quel film allait être un hit et quel film allait être un flop avant de le faire, on ne ferait rien du tout.
Est-ce que vous vous doutiez un peu que C.R.A.Z.Y. rencontrerait un tel succès?
Je ne pensais pas que le film serait vendu en France. Pour nous, c'est un film extrêmement local où l'âme humaine est à vif. Et lorsque l'on parle de l'âme humaine, on est toujours très universel. C'est ce qui explique que le film ait été exporté partout dans le monde et qu'il marche très bien.
Tout ce qui touche aux relations entre parents et enfants est susceptible de traverser les frontières, n'est-ce pas?
Ce thème touche tout le monde. On a rencontré un succès fou à Marrakech, même chez les non-chrétiens. Je dis ça parce qu'il est un peu question de religion dans le film, même s'il ne s'agit pas d'un film religieux. La spiritualité concerne tout le monde car on se pose tous des questions et aujourd'hui plus que jamais, en pleine période de guerre de religions. Les jeunes ont remplacé la religion par la musique, leurs nouveaux dieux sont les iPod, nanopod et mp3 de ce monde… (rires)
C.R.A.Z.Y. vient de sortir en Grande-Bretagne, quel accueil a reçu le film?
L'accueil a été formidable, il y a eu un bon buzz. Le film ne sort pas dans énormément de salles mais on ne sait jamais ce qui pourrait arriver si le film s'installe et se taille une réputation. Vous savez, quand on débarque comme ça de nulle part, sans vedette, il faut avoir de très bonnes critiques et il faut ensuite que le bouche-à-oreille soit positif. On a déjà gagné beaucoup de prix dans les festivals mais après les festivals, il faut aller rejoindre le vrai monde.(rires)
Avez-vous des projets en cours?
Je repars mardi pour le Canada pour tourner un nouveau film (ndlr : Ma fille, mon ange d'Alexis Durand-Brault) qui ne connaîtra peut-être pas le même succès que C.R.A.Z.Y., mais là encore, qui sait. J'y joue un avocat qui travaille au Parlement de la province de Québec. Je mène une vie sociale très rangée avec ma femme et ma fille de 19 ans, partie à Montréal étudier le droit. Un soir, je m'en vais faire un tour sur les sites pornographiques, comme je ne sais combien de gens le font. Et tout à coup, j'y trouve ma fille qui annonce qu'elle va participer à un site porno dans cinq jours, à telle heure, avec un type qui s'appelle Mister Dotnet. Cette découverte me cause un choc épouvantable, d'autant plus que l'on apprend que ce monsieur vient d'être tué. Je ne raconterai pas le reste mais il s'agit d'un thriller avec un intérêt dramatique soutenu, sur fond familial encore une fois, et sur fond dénonciateur de cybersex. Parce qu'à l'heure actuelle, les petites filles apprennent apparemment à faire des fellations à leur petit ami à douze ans, avant même de les embrasser. Il y a de toute évidence un gros problème et nous sommes les premiers à traiter le sujet, les Américains eux-mêmes n'ayant pas encore fait de film là-dessus. Je pense par conséquent que ça peut créer un événement. De plus, il s'agit ici de la propre fille de mon personnage et cela rappelle un peu Traffic de Steven Soderbergh, où la fille de Michael Douglas se drogue parce qu'il est trop occupé à poursuivre les trafiquants de drogue. (rires)
Propos recueillis par Caroline Leroy
Interview publiée sur DVDRama.com le 27 avril 2006