• Black Jack : décryptage de l'adaptation

    Le réalisateur Osamu Dezaki livre sa version du manga du grand maître Tezuka. L'adaptation animée de Black Jack est une œuvre torturée et humaniste à la fois, qui compte parmi les réussites brillantes de l'animation japonaise. Chronique en deux temps.

    Black Jack : OAV 1 à 5

    La série d'OAV Black Jack avait déjà été éditée en VHS à la fin des années 90. On se souvient d'une série très noire, très forte, parfois gore, dominée par la figure charismatique de ce médecin de génie dont le visage impénétrable porte les marques d'un passé trouble. Quelques années plus tard, c'est avec un plaisir énorme que l'on redécouvre Black Jack, sur support DVD cette fois. Pas de doute, cette adaptation libre signée Osamu Dezaki est bien le petit bijou de nos souvenirs et n'a rien perdu de sa superbe avec le poids des années.

    Le premier coffret réunit les cinq premiers épisodes de la série, réalisés entre 1993 et 1995, soit largement de quoi se plonger dans l'ambiance délicieusement morbide – au sens propre – des aventures de ce fascinant personnage.

    Black Jack : décryptage de l'adaptation culte

    Lorsque la médecine ne peut plus rien pour eux, les riches font appel à Black Jack, médecin sans diplôme au passé mystérieux, dont la réputation légendaire traverse largement les frontières. En échange de ses services, Black Jack ne leur demandera qu'une petite poignée de millions de dollars…

    En guise d'introduction à l'univers et au personnage de Black Jack, Osamu Dezaki nous invite à découvrir les tourments endurés par ses patients très spéciaux. Au bout de cinq minutes à peine, nous voilà projetés aux côtés d'un vieil homme repoussant atteint d'une bien étrange maladie : décharné et à bout de forces, il n'a d'autre choix pour atténuer la douleur de ses crises régulières que de boire des litres et des litres d'eau à toute heure du jour et de la nuit, tout en sachant que cette eau s'échappera de son corps l'instant d'après, par tous les pores de sa peau…

    Black Jack : décryptage de l'adaptation culte

    Les manifestations spectaculaires de son mal annoncent la couleur de ce qui nous attend durant les épisodes suivants de Black Jack : de la souffrance, du dégoût, de l'horreur crue, et l'espoir insensé pour le malade ou pour ses proches d'une guérison à la clé, entre les mains expertes du plus convoité des chirurgiens de la planète.

    Chaque épisode de Black Jack respecte un rituel immuable : une sonnerie de téléphone qui remplit brutalement le vide d'une petite maison perdue au sommet d'une vallée, la révélation d'un cas clinique déroutant, une enquête approfondie qui conduira tôt ou tard à une opération chirurgicale.... Pourtant, ces passages obligés ne forcent à aucun moment la monotonie, bien au contraire.

    Black Jack : décryptage de l'adaptation culte

    Avec la même dextérité que celle dont fait preuve son héros pour accomplir l'impossible, Osamu Dezaki (Cobra) s'appuie sur une confortable durée – cinquante minutes par épisode – pour ciseler chaque histoire avec le même soin maniaque. Il est ainsi impossible de prévoir d'une fois sur l'autre si le patient va s'en sortir ou non.

    Car davantage qu'à nous montrer un sauveur en action, Black Jack s'attache à parler des êtres humains, de leur rapport à la maladie et par extension, à la vie en général. Tout cela avec humilité et bienveillance, quelles que soient les atrocités qui nous sont exposées par le menu.

    Tel un Barberousse des temps modernes, Black Jack ne se contente pas de soigner les corps, il vient panser les plaies béantes des âmes de ces malheureux. Confrontés à leur déchéance et guettés par une mort prochaine, ces derniers se voient la plupart du temps accorder le temps de la réflexion durant leur lente agonie.

    Black Jack : décryptage de l'adaptation culte

    A ce titre, l'épisode le plus poignant et le plus représentatif de l'humanité de la série comme du personnage de Black Jack reste sans nul doute Une étrange anorexie, dont la principale protagoniste dépérit à vue d'œil, au point de souhaiter ardemment la mort. Si l'introspection intervient dans chaque scénario, la cause du mal ne pourra cependant être éradiquée qu'à la suite d'une intervention chirurgicale de haute volée, dans des conditions extrêmes parfois (patient en proie à des convulsions, lumière défaillante). Le tout étant, et c'est là la subtilité de Black Jack, d'identifier précisément le "mal".

    Le cinquième épisode, Le hibou de San Merida, outre qu'il suit de près le précédent en termes de qualité d'écriture et de réalisation, illustre à merveille cette idée de chemin à parcourir pour déterrer les origines la souffrance, un chemin qui n'est jamais celui que l'on imagine.

    Black Jack : décryptage de l'adaptation culte

    Le superbe character design de Akio Sugino parachève la réussite de ces OAV, nous rappelant au passage ce que l'animation japonaise pouvait offrir à l'époque en termes de graphismes élégants et expressifs. Nul besoin alors de faire gesticuler les personnages dans tous les sens afin de prouver le savoir-faire en matière d'animation, puisque les dessins parlaient d'eux-mêmes.

    Les figures féminines, en particulier, bénéficient d'un soin remarquable, tant dans la manière raffinée et respectueuse dont elles sont dessinées que dans leur personnalité, toujours marquante : l'épouse malheureuse de La légende de la Kimaïra, l'adolescente de Procession funèbre, la capitaine de Les médailles de Maria ou encore l'actrice d'Une étrange anorexie, toutes les femmes qui croisent le chemin de Black Jack sont dignes et émouvantes.

    Quant à notre médecin errant, son impassibilité ne dissimule en rien de la froideur. Mais l'on attend encore d'en connaître plus à son sujet, un honneur que nous fera sans doute les prochains OAV de Black Jack...

    Article publié sur DVDRama.com le 2 janvier 2007

    Black Jack : OAV 6 à 10

    Avec la deuxième série d'OAV de Black Jack, le génial Osamu Dezaki prouve qu'il était loin d'avoir dit son dernier mot au début des années 90. Ces formidables épisodes, qui frisent la perfection pour les trois derniers d'entre eux, font soudain paraître bien ténue la frontière entre animation destinée à la vidéo et cinéma d'animation.

    Black Jack : décryptage de l'adaptation culte

    Lorsque la médecine ne peut plus rien pour eux, les riches font appel à Black Jack, médecin sans diplôme au passé mystérieux, dont la réputation légendaire traverse largement les frontières. En échange de ses services, Black Jack ne leur demandera qu'une petite poignée de millions de dollars…

    Les très beaux OAV du précédent coffret DVD de Black Jack, réalisés entre 1993 (épisodes 1 à 3) et 1995 (épisodes 4 et 5), plaçaient déjà la barre très haut en termes de puissance dramatique et d'exigence graphique. Ce coffret offre de véritables joyaux parmi lesquels on compte trois inédits, à savoir les épisodes 7, 8 et 9.

    L'épisode 6, La princesse maudite, opère une rupture avec les précédents qui étaient tous plus ou moins ancrés dans le monde contemporain : perdu en montagne à la recherche d'un mystérieux client dont la demande lui est parvenue avec deux ans de retard, Black Jack se retrouve confronté aux fantômes de samouraïs plongés dans une guerre intestine et au cas difficile d'une jeune femme atteinte d'un mal aux origines surnaturelles.

    Black Jack : décryptage de l'adaptation culte

    Sorte de parenthèse onirique empreinte de mélancolie, cet épisode enrichit encore le voyage de notre médecin préféré, avant qu'il ne se retrouve happé de nouveau par l'enfer moderne dans l'épisode suivant, Un Serviteur de Dieu, celui d'une guerre civile dévastatrice dont la tragédie présente une curieuse résonance avec les conflits qui ont marqué l'Europe de l'Est au cours des années 90. Le déploiement des casques bleus y est d'ailleurs mentionné, même si les pays se voient attribuer des noms fictifs tout au long de la série : il ne tient qu'à nous de recoller les morceaux.

    Sans jamais se revendiquer comme une série "politique", Black Jack glisse ici et là de nombreuses piques bien senties à l'égard des uns et des autres. L'ingérence du gouvernement américain dans les guérillas d'Amérique du Sud était clairement dénoncée dans Les Médailles de Maria, les horreurs de la guerre étaient au cœur de l'épisode Le Hibou de San Merida et ses conséquences terribles et insoupçonnées rongeaient certains des protagonistes d'Une étrange anorexie : les catastrophes écologiques résultant de l'inconscience et de la cupidité humaines hanteront le tout dernier épisode, La Sirène, vrai petit bijou d'émotion.

    Black Jack : décryptage de l'adaptation culte

    Dans ce contexte tumultueux, Black Jack joue le rôle d'un témoin de son époque, qui ne peut intervenir qu'après que le mal est fait afin de recoudre les blessures. Cela est particulièrement frappant dans Un Serviteur de Dieu, dans lequel il peine, l'espace d'un instant, à faire face à l'avalanche de détresse humaine qui l'assaille après qu'il a accompli le miracle, au milieu du camp de réfugiés. Un épisode qui, au passage, lève un peu plus le voile sur la nature de la mission que s'est assignée ce médecin sans frontière au passé nébuleux – Kurô Hazama de son vrai nom.

    A partir de l'épisode 8, l'évolution est très nette dans la qualité du style graphique de Black Jack : la perfection concerne non seulement les personnages, splendidement dessinés, mais aussi les décors, tout simplement renversants de grâce et de beauté.

    Black Jack : décryptage de l'adaptation culte

    Visiblement nanti de davantage de moyens (les années ont passé et les personnages sont à présent munis de téléphones portables), Osamu Dezaki tire parti d'une animation soudain plus fluide pour affiner encore sa narration et sa mise en scène. Il limite le recours aux arrêts sur images sur les dessins d'Akio Sugino, qui caractérisaient les premiers OAV, pour se concentrer sur le mouvement et la composition des plans, au niveau des couleurs notamment. Le résultat est fabuleux et culmine lors de l'épisode 9, La Tumeur à visage humain, une histoire palpitante où se mêlent avec virtuosité le thriller, le film d'horreur et le drame psychologique.

    D'une histoire à l'autre, Black Jack ne cesse d'émerveiller, de secouer et d'émouvoir. Rarement une série d'OAV n'aura atteint ce niveau de constance dans la grâce, et rendu la richesse du fond indissociable de celle de la forme. Cela, on le doit à Osamu Dezaki, exceptionnel réalisateur dont on souhaite ardemment qu'il recroise un jour le chemin de l'inoubliable médecin sans diplôme.

    Caroline Leroy

    Article publié sur DVDRama.com le 2 janvier 2007

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