• Casshern, Goemon... 2 blockbusters de Kazuaki Kiriya

    Kazuaki Kiriya est un homme multi-talents : scénariste et réalisateur, il est aussi directeur photo, monteur, producteur et acteur. Au Japon, il a réalisé deux films ambitieux qui ont, chacun à leur manière, marqué le cinéma d'action.

    Casshern (2004)

    En surchargeant Casshern d'effets en tout genre d'un goût plus que douteux que le contenu pseudo-philosophique éculé ne vient guère rattraper, Kazuaki Kirya échoue à faire de son film le sympathique divertissement qu'il aurait pu prétendre à être, à défaut de révolutionner la science-fiction. Porter une esthétique manga à l'écran n'est pas chose aisée et n'est pas Ryuhei Kitamura qui veut.

    L'action de Casshern prend place à la fin du 21ème siècle, après 50 années d'une guerre sans merci qui voit le régime autoritaire de la Fédération Orientale triompher successivement d'Europa et d'Eurasia. Mais une petite faction en Eurasia n'a pas l'intention de se laisser dominer et s'organise au sein de la Zone Seven. C'est là que le généticien Kôtaro Azuma (Akira Terao) parvient à mettre en place un traitement révolutionnaire fondé sur les "neo-cells" destinées à aider les blessés et qui sait, ramener les morts à la vie. La volonté secrète de Azuma est en réalité de guérir sa femme Midori, atteinte d'une maladie incurable. Or pendant ce temps, son fils Tetsuya (Yusuke Iseya), s'est engagé dans le conflit visant à détruire tous les opposants à la Fédération Orientale, pour le plus grand malheur de ses parents et de sa fiancée (Kumiko Aso) puisqu'il finit tué au combat…

    Casshern, Goemon... 2 blockbusters de Kazuaki Kiriya

    C'est sur ce postulat passablement attrayant que démarre Casshern, premier long métrage d'un transfuge du clip vidéo nommé Kazuaki Kirya. Si le Japon s'est fait une spécialité des chefs-d'œuvre d'anticipation révolutionnaires par le biais de l'animation depuis plus d'une quinzaine d'années, chefs-d'œuvre parmi lesquels on citera les incontournables Akira (Katsuhiro Otomo, 1988), Ghost in the Shell (1995) et sa suite Ghost in the Shell 2: Innocence (Mamoru Oshii, 2004) ou Jin-Roh (Hiroyuki Okiura, 1998), il semble que l'archipel ait tardé à nous livrer leur pendants live.

    En effet, en moins de temps qu'il n'aura fallu pour le dire, c'est la Corée qui a pris les devants avec deux longs-métrages traditionnels, Yesterday (Jeon Yun Su, 2002) et Natural City (Min Byung Chun, 2003), ainsi qu'un film d'animation remarqué, Wonderful Days (Kim Moon Saeng, 2003). Certes, il y eut Avalon en 2000, qui permit une fois de plus à Mamoru Oshii d'affirmer son talent de visionnaire. L'une des grandes réussites d'Avalon consistait justement à ne pas se contenter d'imiter l'animation mais à créer un univers visuel totalement original et cohérent exploitant pleinement les technologies traditionnelles et numériques.

    Casshern, Goemon... 2 blockbusters de Kazuaki Kiriya

    Casshern tente évidemment de jouer dans la même cour. Cependant, le moins que l'on puisse dire est que si l'atmosphère visuelle du film est pour le moins originale, elle manque cruellement de cohérence. Il n'est d'ailleurs pas trop osé de déclarer qu'il nous aura rarement été donné d'assister à pareille cacophonie visuelle et narrative.

    Si tout semble aller à peu près durant les premières vingt minutes, c'est-à-dire jusqu'à ce que le généticien Azuma ne ramène accidentellement à la vie un nombre incalculable de mutants sacrifiés au profit du genre humain dans ce qui reste comme la seule scène réussie du film tout entier, les choses se corsent dès que lesdits mutants commencent à s'organiser autour d'un chef (Toshiaki Karasawa) qui se métamorphose sous nos yeux en Rutger Hauer japonais sorti tout droit de Blade Runner.

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    Il n'est pas le seul : enragés contre les humains ignobles qui n'ont cessé de se servir d'eux, les proches comparses du leader adoptent eux aussi un look définitif, rivalisant de ridicule dans des accoutrements qui, s'ils font la joie des amateurs de manga dans les œuvres d'animation, passent décidément très mal à l'écran (quoique Ryuhei Kitamura aurait peut-être réussi à nous faire avaler ça). Ces mutants très fashion décident de passer à l'attaque à l'aide d'une armée de robots.

    Mais c'est compter sans Tetsuya qui revient à la vie dans la peau et l'amure invincible du sauveur de l'humanité, le Casshern tant attendu. Certes, ce dernier parvient à mettre la pâtée aux envahisseurs durant les deux ou trois premiers affrontements, mais il passe le restant du film à se traîner parterre en loques, son rutilant costume très rapidement tâché de boue dès lors qu'il se mesure à Brai, le chef des mutants.

    Casshern, Goemon... 2 blockbusters de Kazuaki Kiriya

    Tetsuya est accompagné en toutes circonstances de sa tendre fiancée qui passe le plus clair de son temps les bras ballants et l'air béat, débitant de temps à autres quelques profonds questionnements du genre "mais pourquoi les hommes se font-ils la guerre ?". On notera au passage qu'elle parvient à traverser toutes les multiples explosions et cataclysmes qui jalonnent le film sans que sa robe du soir ne soit un seul instant abîmée ! Un véritable tour de force.

    L'autre femme marquante du film, Midori, arbore d'ailleurs le même genre de tenue, à croire que l'élégance mondaine constitue l'uniforme imposé pour ces dames afin de survivre dans l'univers de fin du monde de Casshern.

    Casshern, Goemon... 2 blockbusters de Kazuaki Kiriya

    Au-delà des partis pris scénaristiques simplistes et des invraisemblances gênantes qui décrédibilisent la logique interne du film, le défaut le plus rédhibitoire de Casshern réside incontestablement dans la forme. Kazuaki Kirya, dont l'implication sur le film concerne aussi le scénario, la photographie et le montage, peut s'enorgueillir d'avoir créé un style visuel absolument unique : on n'a effectivement jamais vu ça. Chaque plan a été retravaillé digitalement pour un résultat proprement épouvantable dont on espère ne jamais plus retrouver la trace dans les futures œuvres de science-fiction du Japon et d'ailleurs.

    Les successions épileptiques de plans sans queue ni tête qui tiennent lieu de scènes d'action sont rehaussées de couleurs saturées à l'extrême, couleurs susceptibles de changer du tout au tout au plan suivant. Une scène peut débuter dans les tons rouges pour virer au vert l'instant d'après, puis carrément au noir et blanc. Autant dire que nos pauvres yeux sont soumis à rude épreuve, quand ils ne sont pas littéralement explosés par les tons rouges, jaunes, bleus ou verts criards qui surgissent ici et là aux quatre coins de l'écran.

    Casshern, Goemon... 2 blockbusters de Kazuaki Kiriya

    Pour renforcer le caractère dramatique de certaines scènes, le réalisateur a l'étrange idée d'utiliser un noir et blanc sale au grain épais, procédé qui nous amène rapidement à nous interroger sur l'ensemble du film dont on croirait parfois qu'il a été entièrement tourné ainsi puis colorisé au petit bonheur par-dessus, sans aucun souci de respecter l'harmonie fondamentale des couleurs.

    En dépit d'un casting prometteur qui inclut Yusuke Iseya (Afterlife, Distance), Kumiko Aso (Red Shadow), Akira Terao (Ran) et même Susumu Terajima dans un petit rôle, la bouillie qu'est Casshern ne permet à aucun talent de s'exprimer véritablement. Les comédiens, si doués soient-ils, jouent étonnamment mal et c'est avec un pincement au cœur qu'on les regarde s'enfoncer chaque seconde davantage.

    Article publié sur DVDRama.com le 3 mai 2005

    Goemon (2009)

    L’imprévisible Kazuaki Kiriya est de retour avec Goemon, un deuxième long métrage tout en démesure, librement inspiré de la vie du légendaire Ishikawa Goemon. Une chose est sûre, le temps de la réflexion a profité à ce réalisateur ambitieux qui a su tirer parti de ses erreurs et transformer l’essai un peu brouillon que représentait son premier film. Goemon est un spectacle de tous les instants, une formidable expérience visuelle que ne ternissent pas les quelques maladresses d’un scénario aux ressors un peu naïfs.

    Casshern, Goemon... 2 blockbusters de Kazuaki Kiriya

    Devant ces scènes d’action tourbillonnantes conçues avec un sens de la composition graphique à couper le souffle, on se prend presque à rêver que le film ne soit pas entièrement muet. Les velléités expérimentales inabouties exprimées dans Casshern, son premier flim, prennent ici tout leur sens, tandis que les défauts de rythme qui le caractérisaient s’effacent pour laisser place, enfin, à ce lyrisme auquel semble tant aspirer Kiriya. Le cinéaste démontre par la même occasion à travers cette œuvre hors normes qu’il sait filmer et diriger ses acteurs, aidé par un casting de stars où brille notamment l’excellent Takao Osawa, très touchant. Goemon n’est peut-être pas un film parfait, mais il est assurément exaltant.

    Après avoir fait ses armes sur un certain nombre de clips vidéo, notamment ceux de son ex-femme, la chanteuse pop Hikaru Utada, Kazuaki Kiriya saute le pas : il écrit et réalise en 2004 son premier long métrage, Casshern, dont la réputation franchit aussitôt les frontières du Japon. Librement adapté de Shinzô Ningen Kyashân, une série animée datée des années 70, ce film tourné entièrement sur fond vert et truffé d’incrustations numériques propose une expérience visuelle inédite qui enthousiasme les uns par son audace et laisse perplexes les autres de par son caractère fouillis et inabouti.

    Casshern, Goemon... 2 blockbusters de Kazuaki Kiriya

    Mais plus que son esthétique osée, son scénario alambiqué et ses importants défauts de rythme contrarient un public pourtant acquis à la cause des films expérimentaux novateurs. Toutefois, que l’on aime ou que l’on déteste Casshern, il est difficile de rester indifférent à la personnalité envahissante de son auteur. Annoncé comme un objet cinématographique plus démesuré encore, Goemon, son deuxième film, était par conséquent particulièrement attendu par les admirateurs de Kiriya… comme par ses détracteurs.

    Goemon tire son titre du nom d’Ishikawa Goemon, bandit légendaire devenu héros folklorique, que beaucoup considèrent comme le « Robin des Bois japonais » parce qu’il volait aux riches pour donner aux pauvres. Pour Kazuaki Kiriya, qui signe là encore le scénario de son film en plus d’en assurer la photographie et la production (conjointement avec l’éternel Takashige Ichise), la légende n’est pas qu’un prétexte : le long métrage tout entier est porteur d’un message idéaliste qui transpire la sincérité jusqu’à la dernière seconde.

    Casshern, Goemon... 2 blockbusters de Kazuaki Kiriya

    Ecrit à la manière d’un conte moderne, Goemon s’appuie sur un scénario de facture classique qui ne cherche pas à éviter les clichés et dont certains motifs sembleront familiers aux amateurs d’animation japonaise, tels que les relations de maître à disciple (le maître lançant l’incontournable « tu dois devenir fort ! » au petit garçon chez lequel il discerne un potentiel exceptionnel), la rivalité entre condisciples (les frères ennemis Goemon et Saizo), ou encore la romance naïve qui unit Goemon à la princesse Chacha. Si certains aspects du scénario auraient gagné à être plus subtils, le film ne pâtit pas vraiment de ce parti pris car il laisse véritablement la part belle aux personnages, à l’inverse de Casshern où ceux-ci donnaient l’impression d’être totalement désincarnés.

    Goemon, interprété avec beaucoup d’allant par Yôsuke Eguchi (Samurai Commando Mission 1549), occupe pleinement l’espace et possède une personnalité attachante qui réserve quelques bonnes surprises. Et ce, même si Takao Osawa (Aragami), qui est à la fois charismatique et excellent acteur, aurait tendance à lui voler la vedette dès qu’il apparaît à l’écran. Osawa confère au personnage de Saizo une dimension tragique grâce à un jeu tout en finesse qui lui permet d’en transcender la caractérisation relativement simple ; il livre de loin la prestation la plus émouvante du film.

    Casshern, Goemon... 2 blockbusters de Kazuaki Kiriya

    Cela étant, Goemon regorge de bons acteurs dont les talents sont parfaitement exploités tels que Eiji Okuda en Hideyoshi Toyotomi ou Susumu Terajima en Hattori Hanzo, et offre en outre plusieurs caméos sympathiques (Erika Toda et Eriko Sato en courtisanes, Ryo dans le rôle de la mère de Goemon).

    A ce titre, on notera que non seulement Kazuaki Kiriya dirige impeccablement ses comédiens, mais qu’il prend soin par la même occasion de les filmer de manière très inspirée, dans les scènes d’action comme dans les scènes de jeu. Cela se vérifie pour Eguchi et Osawa, mais aussi pour le jeune acteur montant Jun Kaname, qui nous campe un Mitsunari Ishida aussi retors qu’impénétrable, et dont les traits réguliers sont constamment mis en valeur par les choix de cadrage et la photographie très contrastée de Kiriya.

    La mièvre Ryoko Hirosue (Departures) est peut-être la seule à ne pas ressortir grandie de l’aventure, engoncée dans les costumes rigides d’une princesse faible et passive dont la principale fonction consiste à apporter une « touche féminine » à cet univers très masculin. Qu’importe, la force des autres personnages et la puissance visuelle du style très affirmé de Kiriya font des miracles tout au long de ces deux heures trépidantes.

    Casshern, Goemon... 2 blockbusters de Kazuaki Kiriya

    Le jusqu’au-boutisme s’impose sans doute comme le trait le plus caractéristique de la patte Kiriya. Le cinéaste ne semble reculer devant rien pour voir ses fantaisies les plus délirantes se réaliser à l’écran. C’est en tout cas l’impression que donnent les scènes d’action ultra stylisées et incroyablement dynamiques qui ponctuent Goemon, à commencer par la scène d’ouverture, à la fois très impressionnante et extrêmement divertissante, où Yôsuke Eguchi fait son show sur le toit d’un bâtiment devant un public enthousiaste. Il en va de même pour l’affrontement qui l’oppose à Takao Osawa à l’issue d’une course poursuite à travers champs, combat au cours duquel la caméra virevolte avec les deux acteurs pour les arrêter dans des poses pleines de classe saisies sous des angles étonnants.

    On s’émerveille aussi devant la scène finale grandiose qui voit Yôsuke Eguchi traverser l’armée ennemie en coupant au passage tout ce qui dépasse. Le réalisateur possède incontestablement un sens inné de la composition des plans, qu’ils soient statiques ou en mouvement.

    Les effets spéciaux, réussis dans l’ensemble, donnent corps à ses audaces visuelles insensées où les lois de la pesanteur n’ont plus cours sans que cela ne perturbe à aucun moment la logique esthétique de l’ensemble. La photographie, dont les dominantes varient d’une séquence à l’autre, sublime les comédiens mais aussi les décors qui ont bénéficié d’un soin manifeste jusque dans le moindre détail. Alors que Casshern faisait étalage d’un mauvais goût prononcé sur certains plans, les couleurs ajoutées en post-production n’allant pas toujours ensemble, Goemon est peaufiné dans le sens d’une harmonie de tous les instants tout en demeurant unique en son genre.

    Casshern, Goemon... 2 blockbusters de Kazuaki Kiriya

    Dans le cinéma japonais contemporain, seul Ryuhei Kitamura s’était permis de pousser aussi loin la fantaisie dans le cinéma d’action (souvenons-nous de la scène finale démente d’Azumi et ses mouvements de caméra non moins allumés). Les films japonais en prises de vue réelles font rarement dans la démesure, contrairement aux œuvres animées qui poussent très loin les expérimentations de toutes sortes. A sa façon, Kazuaki Kiriya est parvenu à s’approcher au plus près d’une fusion idéale entre cinéma live et animation, dans l’esprit comme dans l’esthétique. Au vu de ce spectacle éblouissant, on ne peut qu’attendre en trépignant d’impatience de découvrir son troisième film, qui est annoncé comme d’ores et déjà en développement…

    Caroline Leroy

    Article publié sur Filmsactu.com le 9 septembre 2009


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