• Critique : Les Salauds Dorment En Paix, de Akira Kurosawa

    Film-choc de par la virulence de son propos, Les salauds dorment en paix évite tout sensationnalisme grâce à un scénario admirablement bien construit et à une mise en scène sobre et efficace.

    Avec Les salauds dorment en paix, Akira Kurosawa abordait de front un sujet jusqu'ici superbement ignoré dans le cinéma japonais alors même qu'il était déjà brûlant à l'époque : la corruption des hauts fonctionnaires. En avance sur son temps, le cinéaste dresse un portrait bien pessimiste des hautes sphères du pouvoir qu'il dépeint comme littéralement gangrenées par une corruption endémique.

    Critique : Les Salauds Dorment En Paix, de Akira Kurosawa

    Le mariage de Kôichi Nishi et de Yoshiko Iwabuchi est célébré en grande pompe, réunissant les membres les plus influents de la classe politique et du monde des affaires. Cependant, certains soupçonnent Nishi de contracter un mariage d'intérêt en épousant la fille du vice-président de l'Office du développement des sols, M. Iwabuchi. Lors d'un discours véhément prononcé au cours de la cérémonie, le frère de la mariée n'hésite pas à menacer publiquement Nishi s'il ne rend pas sa sœur heureuse. En réalité, les Iwabuchi sont mêlés à un énorme scandale de corruption et les motivations du marié ne sont pas tout à fait celles que l'on croit…

    Les salauds dorment en paix s'ouvre sur la fin de la cérémonie de mariage de deux jeunes gens dont l'union semble susciter le soulagement de leur entourage. En effet, bien qu'elle représente un "parti intéressant" du fait de la position enviée de son père, Yoshiko (Kyoko Kagawa) est estropiée depuis l'enfance et n'a pas connu une vie facile ; Nishi (Toshirô Mifune), quant à lui, est orphelin et de condition modeste.

    Cette première scène remarquable permet d'exposer en très peu de temps tous les personnages importants du film, leur position les uns par rapport aux autres et les enjeux qui les motivent, la caméra captant les regards contrits, les hésitations malheureuses ou les sourires forcés tandis que les journalistes, relégués au fond de la salle, y vont de leurs commentaires sarcastiques sur les antécédents des personnalités présentes. A l'issue de cette scène se met en route la machinerie implacable de ce film dense et méticuleux dont on ne peut jamais prévoir où il va nous mener.

    Critique : Les Salauds Dorment En Paix, de Akira Kurosawa

    L'intelligence du film consiste entre autres à mêler étroitement l'escalade de la corruption et ses résonances dans la famille du principal coupable, le vice-président Iwabuchi (Masayuki Mori). Dépourvu de la moindre humanité lorsqu'il s'agit de protéger ses arrières ou celles de son supérieur – que l'on ne verra jamais –, il se montre en revanche tout à fait recommandable dans la sphère privée, du moins si l'on en croit sa fille Yoshiko qui conserve de lui l'image d'un père attentionné.

    La quête de vengeance de Nishi, dont le père a été poussé au suicide par le trio infernal de l'Office – Iwabuchi, Moriyama (Takashi Shimura) et Shirai (Kô Nishimura) – cinq ans auparavant, se heurte ainsi d'un côté au danger physique que représenteraient d'éventuelles représailles de la part de cet homme influent et d'un autre côté, à la crainte de blesser celle dont il s'est épris malgré lui. Aidé de son meilleur ami Itakura et armé de la meilleure des stratégies, Nishi va peu à peu se laisser aller à quelques excès qui, s'ils ne peuvent se comparer aux crimes de ses adversaires, entament toutefois quelque peu son intégrité.

    Car dans Les salauds dorment en paix comme dans tous les autres films de Kurosawa, les "héros" sont eux-aussi victimes de leur propre orgueil. Toshirô Mifune incarne à merveille ce personnage ambigu, d'apparence contenue en temps normal mais dont peut jaillir une violence extrême lorsqu'il se laisse emporter par la situation (la fameuse scène où il menace de balancer Shirai par la fenêtre).

    Critique : Les Salauds Dorment En Paix, de Akira Kurosawa

    Quant à Masayuki Mori, loin du personnage de gentil garçon qu'il interprétait dans L'Idiot, il se fond avec aisance dans la peau de cet homme d'affaires véreux, aussi intraitable avec ses sous-fifres que mielleux avec ses supérieurs. Ils ne sont pas les seuls à briller, Kyoko Kagawa se montre elle aussi impeccable, de même que Takeshi Katô, dont on a peine à croire qu'il était débutant à l'époque.

    Extrêmement bien interprété, Les salauds dorment en paix est aussi et surtout magnifiquement écrit et réalisé. S'il n'est pas le plus connu des films de Kurosawa, c'est peut-être parce qu'il n'est pas le plus spectaculaire en apparence, les rares possibilités de scènes d'action grandioses étant volontairement éludées (vers la fin en particulier). Pourtant, ce dépouillement relatif était nécessaire pour toucher au but sans s'égarer inutilement et le film s'avère au final extrêmement intense en dépit des ellipses – ou grâce à elles ? Le cinéaste y déploie une maîtrise virtuose du suspense tout en mettant en place un drame poignant qui secoue durablement. Cynique, cruel voire monstrueux, Les salauds dorment en paix fait réellement froid dans le dos, et ce d'autant plus que ses thématiques sont tristement universelles…

    Caroline Leroy

    Article publié sur DVDRama.com le 26 juin 2006


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