• Critique : Initial D, de Andrew Lau et Alan Mak

    Réalisé par le duo Andrew Lau / Alan Mak, le film live Initial D entreprend d'adapter le manga fleuve de Shuuichi Shigeno et met en vedette le chanteur taïwanais Jay Chou dans le rôle du génie du drift Takumi Fujiwara.

    Si le résultat n'arrive jamais à la cheville de la très fidèle et très réussie transposition animée, dont il s'inspire à tous égards, Initial D n'insulte ni les fans, ni les amateurs d'action en général et s'assume joyeusement comme un film pop-corn des plus sympathiques.

    Takumi Fujiwara est un lycéen de 18 ans qui travaille dans une station essence le jour et livre du tôfu au petit matin, au volant de la Toyota AE86 Trueno de son père, le long des cols sinueux du Mont Akina. Or c’est justement là que se déroulent chaque week-end des battles impitoyables entre pilotes amateurs très pointus. Un beau jour, le leader d'un des teams de la région débarque à la station essence pour défier le mystérieux "Drift King" d'Akina, en espérant que quelqu'un lui révèlera son identité. N'ayant jamais vu Takumi à l'œuvre, ses collègues comme son meilleur ami Itsuki pensent immédiatement qu'il s'agit de son père Bunta Fujiwara, ancien pilote légendaire. Takumi va-t-il se décider à relever le défi ?…

    Critique : Initial D, de Andrew Lau et Alan Mak

    A l'origine, le projet d'adaptation live du manga à succès Initial D, créé en 1995 par Shuuichi Shigeno, est développé par le réalisateur/producteur hongkongais Tsui Hark en personne avant qu'un désaccord avec la production – concernant, officiellement du moins, le casting de l'actrice japonaise Anne Suzuki dans le rôle de Natsuki Mogi – ne vienne mettre un terme à ce doux rêve. A l'heure qu'il est, les fans de Takumi et de sa Toyota AE86 Sprinter Trueno ("Hachi-Roku" pour les intimes) ne se sont toujours pas remis de cette terrible déception. Le réalisateur de The Blade avait pourtant sérieusement planché sur le scénario de ce long métrage d'action dont Edison Chen devait tenir le rôle principal.

    A l'arrivée, c'est le duo Andrew Lau / Alan Mak (Infernal Affairs) qui se retrouve aux commandes du blockbuster hongkongais de l'année 2005, sur une histoire écrite par leur scénariste fétiche Felix Chong. Quant à Edison, il cède la place à la superstar de la musique Jay Chou pour hériter du lot de consolation que représente ici le personnage de Ryôsuke Takahashi. Que serait devenu Initial D entre les mains de Tsui Hark ? Nul ne le saura jamais.

    Critique : Initial D, de Andrew Lau et Alan Mak

    Soyons honnêtes, les cinq premières minutes d'Initial D sont un pur ravissement pour les sens. Sur un morceau rap à la fois ambiance et entraînant, la caméra commence par raser le bitume d'une route sombre et déserte pour s'élever peu à peu dans les airs et laisser entrevoir la totalité de l'incroyable circuit de routes sillonnant le mont Akina, principal décor du film. Après un bref interlude présentant Ryôsuke Takahashi (Edison Chen) et Takeshi Nakazato (Shawn Yue) en train de deviser sur les défis qui les attendent, c'est au tour de la splendide Hachi-Roku de Takumi de faire son apparition. Une entrée en scène fracassante qui la montre dévaler les pentes abruptes en enchaînant d'inimaginables virages en équerre, tandis que l'immensité naturelle renvoie l'écho d'un moteur vrombissant et de pneus hurlant à la mort. Il ne manque plus que l'odeur épaisse de gomme brûlée pour parfaire le spectacle.

    Malheureusement, les frissons d'extase occasionnés par ce prologue simplement magnifique seront de courte durée. Les choses se gâtent dès que Takumi (Jay Chou) rentre au bercail pour s'occuper de l'épave qu'est devenu son père Bunta (Anthony Wong). La surprise est de taille : le paternel taciturne et malicieux du manga comme de l'anime s'est mué en ivrogne pervers et violent dont on a peine à croire qu'il soit encore capable de fabriquer du tôfu, et encore moins d'élever son fils. Cette liberté prise avec le matériau d'origine ne choquera évidemment que les fans ; pourtant, le traitement édifiant réservé à ce personnage emblématique de la saga s'apparente à une suprême faute de goût et laisse présager du pire pour la suite.

    Critique : Initial D, de Andrew Lau et Alan Mak

    En choisissant de condenser en un seul film toute la trame d'une série telle qu'Initial D, dans laquelle s'imbriquent étroitement action survitaminée et chronique adolescente sensible, Andrew Lau et Alan Mak prennent le risque de se vautrer irrémédiablement. Le résultat n'est pas aussi catastrophique que cela, mais laisse tout de même largement à désirer à certains égards. Marketing oblige, ce sont bien entendu les scènes d'action qui récoltent les faveurs du scénariste Felix Chong, l'évolution psychologique des personnages se voyant réduite à sa plus simple expression.

    Ceci est vrai des personnages secondaires bien évidemment, mais aussi des personnages principaux, à commencer par Takumi lui-même, réduit à l'état d'ado complètement timoré, dont rien ou presque ne semble pouvoir perturber la léthargie béate – excepté peut-être dans le dernier quart d'heure. Un portrait quelque peu difficile à avaler pour qui connaît de près l'énergumène, qui révèle battle après battle une hargne surprenante à mesure qu'il prend conscience de son propre talent et de ses aspirations profondes. Dans Initial D le film, les relations de Takumi avec les deux personnages clés que sont son père Bunta et sa petite amie Natsuki (la très niaise Anne Suzuki) n'étant par ailleurs pas précisément réussies – même si pour ce qui est d'Anthony Wong, les choses s'améliorent dès lors que le personnage reprend ses esprits –, la tension n'est pas aussi souvent au rendez-vous qu'on le souhaiterait.

    Critique : Initial D, de Andrew Lau et Alan Mak

    De fait, la plupart des courses du long métrage, nombreuses et filmées avec le plus grand soin, peinent à produire la montée d'adrénaline souhaitée si caractéristique de l'œuvre originale, tant elles paraissent survenir à brûle-pourpoint, détachées de tout contexte émotionnel. Alors que le cinéma de Hong Kong excelle dans l'art de faire progresser les enjeux dramatiques à l'intérieur même des scènes de combat dans les films d'arts martiaux, il ne semble pas être venu à l'esprit des réalisateurs d'appliquer le même principe à Initial D.

    Pour exemple, ce moment où la Trueno clamse en pleine course fait directement référence à la formidable scène pivot de la deuxième saison de la série (habile adaptation du tome 10 du manga), à ceci près qu'il se retrouve ici dépouillé de toute signification, de toute portée dramatique. Pour quelles raisons – car il y en a plusieurs – l'incident survient-il ? Que représente-t-il dans le parcours initiatique du personnage ? Nul ne le sait, pas même Felix Chong apparemment.

    Critique : Initial D, de Andrew Lau et Alan Mak

    Cette constante distanciation vis à vis des personnages affecte sérieusement le tempo des courses et par là-même celui du film tout entier. Il ne suffit pas d'ajouter subrepticement quelques voix off en écho et d'insister timidement sur quelques regards féroces pour nous plonger dans le feu de l'action. Tout cela est d'autant plus regrettable que la matière première fournissait toutes les clés pour atteindre l'exaltation tant espérée.

    Malgré tout, et aussi extraordinaire que cela puisse paraître, l'entreprise force indéniablement la bienveillance. On sent que les deux réalisateurs ont eu à cœur de coller le plus près possible à l'univers visuel de l'anime, volonté appréciable même si elle n'est pas à l'abri de susciter parfois quelques francs sourires. En réalité, Andrew Lau n'en est pas à son coup d'essai : en 1999, il signait Legend of Speed, autre film de courses qui s'autorisait déjà quelques clins d'œil significatifs à Initial D (et notamment au jubilatoire "Death Match au scotch" de l'épisode 14) – preuve qu'il connaît la question.

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    L'un des grands plaisirs de cette adaptation live consiste donc à voir les interprètes de la plupart des personnages phares de la série adopter autant que faire se peut les looks et les attitudes de leurs modèles. Le plus drôle d'entre tous reste sans conteste Jordan Chan dans la peau de Kyôichi Sudoh, le pilote pro à la tête du team Emperor (qui ne fait en réalité son entrée en scène qu'au bout de vingt-sept épisodes), en dépit d'un temps d'apparition relativement court. Mais comment oublier sa dégaine impayable – il accuse tout de même le double de l'âge du personnage – et surtout le délirant poids lourd multicolore qui lui sert à planquer son Evo ? Dommage que le pauvre Kyôichi n'ait pas bénéficié sur la durée d'un traitement à la mesure de son importance. Passons.

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    Jay Chou campe, on l'a dit, un Takumi plus coincé et nettement moins nerveux que nature, mais il n'en demeure pas moins charmant à souhait, en dépit de son âge quelque peu avancé pour incarner un adolescent et de son léger manque d'aisance avec le cantonais. Chapman To prend en revanche le parti plus contestable de dépeindre Itsuki comme un débile mental à peine digne de mériter l'amitié de son pote d'enfance.

    Fort heureusement, Edison Chen joue la carte de la sobriété dans le rôle de l'intello de la bande, Ryôsuke Takahashi, même si ses maigres leçons théoriques se situent à des années lumière des commentaires savants de son alter ego animé. Exit les explications minutieuses sur les transferts de masse et autre subtilités des lois de la physique appliquées au drift, Initial D le film s'adresse à un public de novices dont il convient de ne pas trop encombrer les méninges.

    Critique : Initial D, de Andrew Lau et Alan Mak

    La simplification est d'ailleurs aussi de mise dans le choix même des personnages puisque le plus jeune des Takahashi brothers, Keisuke, disparaît de la circulation pour se voir opportunément remplacer par Nakazato, le leader éternellement malchanceux du team NightKids, qu'interprète ici Shawn Yue. On comprend aisément le pourquoi du comment de tels petits aménagements, d'autant que les teams sont par ailleurs très fidèlement transposés, arborant fièrement leurs stickers sur des répliques exactes des vedettes de la série : l'inénarrable Toyota AE86 Sprinter Trueno de Takumi, bien entendu, mais aussi, en vrac, la Mazda FC3S RX-7 de Ryôsuke, la Nissan Skyline GT-R R32 de Nakazato ou encore la Mitsubishi Lancer Evolution III GSR de Kyôichi, surnommées respectivement « AE86 », « FC », « GTR » et « Evo III » dans le film. Ce souci du détail fait du long métrage d'Andrew Lau et Alan Mak un authentique manga live, appelé à parler directement au cœur des fans tout en ne négligeant pas les autres.

    Critique : Initial D, de Andrew Lau et Alan Mak

    Si les diverses prouesses motorisées de nos héros manquent de ce petit quelque chose qui aurait pu les rendre passionnantes – pour les raisons évoquées plus haut, auxquelles il faut ajouter quelques tics de réalisation exagérément clipesques – , elles laissent toutefois échapper bon nombre de plans très inspirés et remarquables de dynamisme, notamment dans la première partie du film. La première confrontation entre Takumi et Nakazato en particulier, alors que ce dernier ne sait pas encore à qui il a affaire, offre quelques-uns des plans les plus merveilleux jamais vus au cinéma en matière de courses de voitures.

    Tout comme Justin Lin et son Fast and Furious: Tokyo Drift (réalisé un an après Initial D), le duo Lau / Mak privilégie les véritables cascades aux effets spéciaux digitaux, seul parti-pris envisageable pour donner ne serait-ce qu'un petit aperçu de la puissance d'élancement des bolides et de la beauté stupéfiante de leurs mouvements. Les démonstrations de drift sont d'autant plus belles à contempler qu'elles sont exécutées au beau milieu des somptueux paysages de la préfecture de Gunma, dans la région du Kantô (l'un des berceaux du drift).

    Critique : Initial D, de Andrew Lau et Alan Mak

    Critique : Initial D, de Andrew Lau et Alan Mak

     L'exploitation du décor naturel, sublimé par la photographie extrêmement harmonieuse d'Andrew Lau, Lai Yu-Fai et Ng Man-Ching, est incontestablement l'un des points forts d'Initial D. C'est en effet dans ce contraste grisant entre fureur mécanique des bolides et gravité silencieuse de l'étendue montagneuse environnante que le film d'Andrew Lau et Alan Mak touche à l'un des secrets de la magie de la série.

    Initial D a beau rester au final un film bancal, qui laisse indéniablement sur sa faim, il n'en procure pas moins un vrai plaisir de spectateur, de par son esthétique irréprochable, son énergie rafraîchissante et son ambiance bon enfant. Le fait est qu'après avoir pesté contre certaines libertés douteuses prises avec la série, on ne peut s'empêcher d'espérer que les aventures de Takumi et de sa Trueno connaissent une suite cinématographique. La rumeur prétend que cette séquelle, déjà envisagée, pourrait bien se dérouler en France, et mettre en scène le duo féminin de choc Mako/Sayuki, découvert dans la première saison…. Il ne reste plus qu'à croiser les doigts !

    Caroline Leroy

    Article publié sur DVDRama.com le 19 mars 2007

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